82-L'oiseau de nuit.

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Le verdict était tombé. Et le compromis était fixé. Bambouré avait laissé passer. Mais une condition était posée. Dès que Mamadou aurait son premier fils, le baptême se déroulerait dans une stricte conformité à la tradition. Mamadou avait accepté. Mais, il ne savait pas encore si Bineta, elle, s'en réjouirait. C'était déjà beaucoup pour elle, de vivre dans un environnement où se parlait continuellement une langue qu'elle ne comprenait pas. Son handicap n'allait pas s'améliorer si elle venait à être transportée, dans le lieu-socle de leur tradition. Un endroit où tous, la fixeraient comme une étrangère, un lieu où elle ne comprendrait pas un mot de ce que diraient les membres de la famille de son mari.

Soixante-douze heures étaient déjà passées depuis la venue du bébé. Inch'Allah, Bineta sortait bientôt de l'hôpital. Elle n'avait pas le choix, le baptême était prévu dans quatre jours.
Pour l'heure, elle tenait son bébé dans les bras. La climatisation battait son plein, même si, le mercure ne cessait de grimper à l'extérieur. Cette fusion qu'elle partageait avec sa fille. Le visage encore inexpressif de la petite. Ce sentiment de plénitude qui l'envahissait n'avait tout simplement pas d'égal.

Dans les petites amandes de ce visage poupin, Bineta voyait l'avenir du monde, comme dans une boule de cristal. Se proclamant reine de la chiromancie, elle lisait à travers la paume de son enfant, un avenir radieux, tout plein de réalisations et de prospérité.

Doucement, tout doucement, ses yeux s'alourdissaient de sommeil. Elle reposa alors dans le cododo, son bébé qui s'était déjà endormi. Elle pouvait à son tour s'assoupir, tout sourire.

Au fil des nuages nocturnes, les oiseaux de nuit survolaient les toits de la maternité.

La veilleuse était la seule gardienne de la lumière dans sa cabine. Bineta ne savait pas dormir dans les ténèbres, seule de surcroît.

Dans son profond sommeil, elle n'entendit pas la porte s'ouvrir, puis se refermer. Et au moment où elle en fut enfin extirpée, les cris qui l'avaient réveillée s'accentuèrent. C'était son bébé. Mais l'éclat de la veilleuse ne suffisait pas à y voir quoi que ce soit. Elle tapa alors vivement sur l'interrupteur.

Bineta sursauta! Et son cœur avec elle. Le berceau était vide de son contenu, et bébé n'arrêtait pas de pleurer. Personne ne pouvait expliquer ce que ressentait la jeune mère. Elle voyait son monde s'effondrer. Mais elle n'était pas encore assez forte pour se battre! Une éclampsie avait eu la mauvaise idée d'avancer le terme de sa grossesse. Elle avait cependant accouché par voie basse et une hémorragie avait failli avoir raison d'elle. Bineta était retenue dans ce lit par la force des médicaments et un cathéter. Et pourtant, elle devait déjà affronter un nouveau cauchemar.

Le bébé criait et les beaux yeux de Bineta fondaient en eau de sel. Elle jeta un œil partout dans la pièce. Personne. Même pas un bouton d'appel pour alerter les soignants. Elle essayait, mais c'était bien trop dur de se relever.

- Je t'en supplie... S'il te plaît, ne lui fais pas de mal... Je t'en supplie, rends-la moi... Rends-moi mon bébé.

- Oh mais... Pourquoi tu pleures ma fille? Je ne lui veux aucun mal à ta fille.

C'était à la fois étrange et pitoyable, cette mine angélique qu'affichait leur tortionnaire. Une quarantaine bien craquée. Son indifférence aux larmes de la petite ne rassurait pas Bineta.

- Si... Si tu ne me la rends pas, je vais crier.

- Ah oui? Vraiment? Tu sais, un bébé c'est tellement fragile. Regarde...

La main durcie de la femme mima une chute libre du bébé.

- Non! Non! Je t'en supplie ne fais pas ça... Ne fais pas...

- Alors, tu veux toujours crier?

- Non! Non. Je ne crie plus mais... s'il te plaît...

- Arrête de me supplier!... Oh et puis toi tu la fermes petite chose fragile! Quelle plaie! Pleurer, pleurer, pleurer! Ça ne sait faire que ça?! Toutes ces années à les écouter crier, j'en ai marre! Tu devrais plutôt me remercier Bineta, je t'épargne des nuits sans sommeil et une insolence que tous les parents affrontent de la part de leurs petits rejetons.

Les pleurs du bébé s'accentuèrent. Le bourreau éloigna brusquement la petite de son visage. Ce vif mouvement effraya Bineta, qui agrippa instinctivement son matelas.

- Ce que ça peut casser les oreilles ce truc... Alors c'est pour ça, c'est pour ce truc que je n'ai jamais eu ma place dans cette famille. C'est pour ce truc... que mon propre mari m'a reniée. Ça ferait trente-cinq dans un mois... trente-cinq longues années de mariage à lui être fidèle et soumise!

- Mais tu as essayé d'envoûter son fils...

Fenda se retourna brusquement vers Bineta! Elle s'approcha assez, pour envahir son espace.

- Eh bien je regrette que ça n'ait pas marché. Au moins, ma répudiation n'aurait pas été vaine.

Mais Bineta n'en avait rien à faire de son argumentaire, elle avait les yeux figés sur son bébé alarmé. L'ayant remarqué, Fenda suivit son regard et posa le sien sur le crâne du bébé.

- C'est ton bébé... que tu veux?

Elle se redressa brusquement, se précipita vers l'autre bout du lit et souleva le bébé dans les airs.

- Eh bien viens la chercher!

La pauvre petite s'enfonça de plus bel dans ses cris. Le traumatisme qu'elle était en train de vivre...

Pourquoi est-ce que personne ne venait? Sans doute, parce qu'une maternité était faite pour chialer. Tout allait si vite, si vite que le temps s'y perdait.

- Bats-toi Bineta! Montre-moi à quel point tu aimes ton BÉBÉ! Montre-moi la force de l'amour maternel! Montre-moi ce que je n'aurai jamais la chance de vivre! Viens... Viens sauver la plus grande joie de vivre des Cissé! LÈVE-TOI!

Lève-toi Bineta. Lève-toi, comme tu t'es levée après ta chute libre au grimpé en troisième. Comme tu t'es si souvent levée, pour faire la gueule à ton mari. Lève-toi, comme tu t'es levée pour frapper correctement cette idiote que tu jugeais trop proche de ton mari. Comme tu t'es levée, pour dire ses quatre vérités à ta camarade de classe, l'emmerdeuse. Lève-toi, comme l'amazone que tu es!

Elle ne s'était toujours pas levée. Elle se débatait, pompait tout le carburant de son corps. Et Fenda riait. Elle se délectait de ce spectacle. Elle se moquait de l'ânerie de Bineta, qui pensait réellement pouvoir se lever.

Comment arracher ce fichu cathéter? Ne fais pas de manière satané sparadra! Et toi la veine, ce n'est pas le moment de faire ta chochotte!

- Eh bien, on dirait bien que maman ne viendra pas te chercher aujourd'hui mon bébé... Hein, que tu es mon bébé? Hein, que tu es mon bébé?... Et si on allait faire un tour toutes les deux? Oui? Ça te dit, n'est-ce pas?

- Non! Non! Ne l'emmène pas! Je t'en supplie... Je t'en supplie... Ne l'emmène pas...

Trop tard, la maîtresse des hautes œuvres refermait déjà la porte.

- Allez mon bébé, dis aurevoir... Dis aurevoir...

Rire méphistophélique, mais silencieux.

Les geintes de Bineta commencèrent à franchir les quatre murs de cette chambre. Ses appels à l'aide lui avaient pris sa voix. Pourtant, personne ne semblait l'écouter. Son lit ne voulait toujours pas la libérer. Et la porte claqua!

L'oiseau des nuits battit des ailes, poussa un cri, et libéra le dallage béton qui surplombait Bineta.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant