69-Et s'il était innocent?

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Tic tac. Le soleil se coucha.

Cela aurait dû être une journée ordinaire. Il aurait dû passer la journée à bosser, en pensant à sa femme, pas à mordre dans son stylo. Elle aurait dû passer la journée à s'occuper de leur maison, en pensant à son homme. Pas à essuyer ses larmes.

Mamadou rentrait du boulot. La table était mise, le dîner servi. Ils ne s'étaient pas dit un mot, pas depuis son arrivée.

– J'ai appelé plusieurs fois aujourd'hui.

Elle haussa les épaules.

– Je me suis inquiété, tu sais.

Elle haussa les épaules, encore. Et il souffla.

– Bineta, je ne t'ai pas trompée.

Elle haussa encore les épaules, encore.

– Tu te rends compte que tu es enceinte?

– Et alors? Qu'est-ce que le bébé a avoir avec ton infidélité? Hein? Homme infidèle.

Ce mot, il l'avait en travers de la gorge.

– Ton état d'esprit peut avoir des répercussions sur notre enfant.

– Qu'est-ce que tu veux dire? Riposta-t-elle en lâchant sa fourchette.

– Que c'est mal que tu sois tout le temps hostile et contrariée.

– Et qui est responsable de cette hostilité et de cette contrariété? Hein? Homme infidèle.

– Tu en es l'unique responsable, parce que tu te fais de fausses idées.

– Ha ha ha ha! Je me fais de fausses idées, moi? Est-ce que tu insinues que j'hallucine? Parce que laisse-moi te rappeler que c'est dans tes affaires que j'ai retrouvé un sous-vêtement qui n'est pas à moi!

– Bineta, calme-toi.

– Non! Ça suffit maintenant! Tu vas arrêter de me prendre pour ta conne!

Elle se leva brusquement!

– J'en ai marre Mamadou! Marre que tu me prennes pour une imbécile! Je suis peut-être petite mais pas aveugle! Je sais ce que j'ai vu! Et puis arrête de me faire passer pour la sorcière du village hein! Depuis que tu es rentré je ne t'ai riiiien dit! Je t'ai fait ton ménage, ta cuisine, sans rechigner! Alors qu'est-ce que tu veux en plus? Mon âme?! Tu as commis une énorme connerie! Tu m'as manqué de respect, à moi et à notre mariage! Tu as même manqué de respect à ce bébé qui va naître! Alors si tu n'es pas fichu de l'admettre, aies au moins la décence de te taire! Tais-toi!

Dans la brutalité de ses gestes, son pagne se dénoua. Mais elle s'empressa de le rattraper, à temps. Sans le renouer, elle se laissa pleurer, avant de poursuivre.

– Pourquoi est-ce que tu es aussi mauvais? Pourquoi les hommes sont aussi mauvais Mamadou? Hein? C'est où que j'ai été une mauvaise épouse? Eh Dieu...

Mamadou s'extirpa de son siège et saisit le visage de Bineta en coupe.

– Ça ne fait même pas encore trois ans qu'on est mariés Bineta. Si un jour j'avais eu envie de te tromper, ce qui n'a jamais été le cas, penses-tu franchement que j'aurais pris le risque de ramener une autre femme chez nous?

Elle tenta de détourner son regard. Mais il le rattrapa.

– Tu penses vraiment que j'aurais pris le risque que tu me fasses une crise pareille?

– Tu as cru au crime parfait. Mais tu as échoué, c'est tout.

– C'est vraiment ce que tu crois?

– Prouve-moi seulement le contraire. Prouve-moi que je suis folle de penser que mon mari m'a trompée, juste parce que j'ai trouvé un string qui n'est pas à moi entre ses vêtements. À ma place, tu aurais fait quoi? Clamer mon innocence sur tous les toits? Pffff, j'en doute... Prouve-moi seulement que j'ai tort. Parce que j'ai beau essayé, je n'arrive pas à te croire.

– Et si je n'ai aucun moyen de te le prouver?

– Alors laisse-moi au moins respirer. Laisse-moi digérer ton infidélité. Et ne me dis pas que je fais du mal au bébé parce que tu sais, ma mère a déjà eu l'obligeance de prédire la mauvaise mère que je serai. J'ai le droit d'être en colère et... et triste, tu crois pas?

Elle le dépassa.

– Attends.

Elle se retourna.

– Tu ne manges plus?

– Plus tard. Là, je n'ai plus très faim.

Il lança un regard indiscret au ventre de Bineta. Mais ce n'était pas son estomac qu'il cherchait, c'était son utérus. Elle suivit ce regard et posa sa main sur son bas-ventre. Elle avait faim, en vérité.

– Si tu veux, dit-il, je te laisse... tranquille.

Le mot semblait lui peser dans la bouche. Elle accepta cette drôle de proposition, sans faire d'histoire.

– Toi tu ne vas pas manger?

Il se retourna, surpris.

– Tu as payé tout ce qui est sur cette table. Et je déteste cuisiner pour rien.

– Je croyais que... tu voulais rester seule.

– Il n'y a pas que cette pièce dans la maison. Tu peux aller manger ailleurs. Au salon par exemple, ton burreau. Tu n'as qu'à choisir, mais pas dans la chambre par contre, je veux pas dormir avec des grains de riz.

Il sourit en fronçant les sourcils. Il était étonné de la froideur avec laquelle elle lui exprimait pourtant de la chaleur. Ce n'était peut-être qu'une illusion qu'il préférait se faire, mais elle se souciait encore de lui, elle ne voulait pas le laisser mourir de faim, même si elle semblait vouloir le tuer le plus cruellement possible.

Elle se leva, ramena un plateau de la cuisine, y rangea tout le gueuleton de son mari, et finit par le lui tendre, la face impénétrable. Il accueillit son plateau, tel un sage gamin devant la tata de la quantine.

– Bon régal, l'expédia-t-elle.

C'était de loin, la plus étrange scène, qu'il avait vécue avec elle. Et si elle faisait de son mieux pour feindre l'indifférence, c'était très bruyant à l'intérieur d'elle. Seulement, Bineta était tellement perdue qu'elle ne savait plus de quelle voix crier.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant