53-Et si tu squatais chez ta future belle-sœur?

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Une très longue discussion, fructueuse, certes. Mais ils n'étaient jamais entrés dans le vif du sujet, celui que Bineta voulait réellement aborder, pas même par accident.

Mamadou avait quasiment laissé son travail pour compte. Elle occupait toute son attention, tout son espace. Et plus les minutes passaient, plus son travail d'un mois coulait. Il n'avait même pas réussi à oublier un millième de sa miss Abidjan, et voilà qu'elle ramenait ses fesses à Ndar pour l'embrouiller et tout faire basculer.

Cependant, au fond de Mamadou, n'était-ce pas ce qu'il désirait trouver? Une excellente raison de ne point oublier la femme de sa vie. Il n'était pas sûr d'obtenir un bon dénouement, mais il était sûr d'en vouloir un. Il était prêt à faire des efforts. Mais lentement et sûrement.

À l'époque, il n'avait que vingt-cinq ans. Il était dans la fraîcheur de l'âge, aussi craquant qu'imposant, même s'il faisait plus vieux aux yeux du monde.

Bineta avait traversé tous les deux mille huit cent cinquante kilomètres qui les séparaient pour le retrouver. Il n'y en avait pas beaucoup comme elle.

- Tu as déjà choisi où tu comptais passer la nuit?

- Non, répondit-elle faiblement. À vrai dire, je n'avais même pas pensé à tous ces détails avant de prendre le bus.

- Je vois.

Toujours fidèle à sa témérité, la damoiselle! Pensa-t-il. Il se mordillait le limbe de la lèvre d'en bas, il réfléchissait.

- Je pourrais rester dans un hôtel ou... même un motel si... tu en connais un qui vaille la peine, je me débrouillerai pour le reste.

Il s'arrêta de mordre et ramena son regard à elle.

- Il y a un hôtel pas très loin, c'est pas cher et plutôt convivial. Je te dépose là en rentrant.

- Merci.

C'était tièdasse entre eux, pas tiède.
C'était douceâtre entre eux, pas doux.
Ils savaient tous les deux ce qu'ils désiraient. Mais personne n'avait encore trouvé le bon moyen de s'y mettre. Alors ils discutaient à propos de banalités. Il y avait un amour affadi entre eux, un amour qui ne demandait qu'à être ravivé, à feu doux.

Mamadou rangea ses documents, empocha ceux dont il s'occuperait à la maison et ils quittèrent le bureau dans un silence tendrement réchauffé.

Très vite, ce silence se trouva agité lorsque Mamadou mit le contact. Il semblait encore réfléchir.

- Ça te gênerait de rester avec ma sœur?

Elle lui adressa un regard très hésitant, mais ne s'y opposa. D'ailleurs, cela n'était que bon signe. S'il voulait se débarasser d'elle, il ne lui ferait jamais une proposition aussi familiale.

- Elle est mariée depuis près d'un an et... elle attend son premier bébé alors...

Un ton amusé s'engagea dans sa voix.

- Tu pourrais rester avec elle, jouer les infirmières si tu veux... Je suis certain qu'elle se fera un plaisir de t'accueillir.

- Et son mari alors?

- Ça va faire un bon moment qu'il veut qu'elle ait quelqu'un à côté d'elle. Mais ma petite-sœur n'est jamais contente, alors c'est un peu compliqué. En plus, tu sais, les hormones.

Bineta esquissa un rire enfantin.

- Je pense que ce serait préférable, en tout cas, par rapport à l'hôtel. Et puis... tout le monde y gagne. Tu ne gaspilles pas tes sous et... ma sœur trouve enfin une infirmière a son goût.

- Qu'est-ce qui garantit qu'elle va m'aimer moi?

- Mon petit doigt. C'est une petite rebelle, moins que toi mais quand-même rebelle. Vous avez à peu près le même âge. En plus, elle ne me le refusera pas à moi... Tu n'es pas une étrangère et à vrai dire... ça va faire longtemps que tout comme mes parents, elle veut te connaître.

La vérité avait enfin éclaté. Loin de ses interminables calculs économistes de banquier, de son envie de trouver quelqu'un aux côtés de sa petite-sœur, il voulait surtout les présenter toutes les deux. Bineta était heureuse, elle n'avait pas voyagé pour rien!

- Ils... ils veulent me rencontrer?

Il ne répondit pas et se contenta juste de lui adresser un regard en coin.

- Enfin, je croyais que... Tu ne leur as pas dit que... qu'entre toi et moi...

- C'était fini?

Elle poussa un souffle qu'il ravala. Ses yeux tournés vers les étoiles semblaient chercher une réponse.

- Quand j'étais encore à Yopougon avant l'accident, ils ne parlaient que de toi au téléphone. Enfin, presque. Après l'accident, quand je me suis réveillé, on en a parlé avec mes parents avant que je n'aille te chercher. Mais à mon retour, je t'ai transformée en sujet tabou. Ils doivent sans doute penser que tu m'en veux ou un truc dans le genre. Ou alors, ils doivent se douter de la vérité... J'en sais rien.

- Ça me va.

- Comment?

- Rester avec ta sœur, en attendant.

- D'accord.

Il dessera le frein et s'engagea sur l'artère. C'était peut-être interdit, mais il récupéra son téléphone.

- Appelle "petite-sœur".

Coumba n'était pas son unique jeune sœur. Mais c'était la première, sa préférée et la seule à avoir un téléphone portable jadis: les autres étaient encore beaucoup trop jeunes.

Comme prévu, Coumba ne s'opposa pas à l'idée de recevoir Bineta. Mamadou ne lui avait pas tout dit.

- J'ai enfin trouvé quelqu'un pour rester avec toi.

Elle avait bien entendu tenté de protester, prétendant ne pas vouloir d'une inconnue qui l'énerverait comme toutes les autres. Mais ces deux là savaient se comprendre. Mamadou n'avait pas eu énormément de mal à la canaliser.

- D'accord, amène-la. Mais si jamais elle ne me plaît pas, tu repars avec.

- Marché conclu.

Coumba en était seulement à deux mois. Elle avait hérité de la corpulence de leur mère, svelte, mais d'une peau sombre comme le père.

À la maison, son voile ne lui paraissait pas indispensable, un foulard et le tour était joué.

Mamadou et Bineta la virent dessiner un joli sourire pour les accueillir, enfin, seulement pour son frère. Cheikh, son époux était également à la maison.
Il remerciait déjà intérieurement son beau-frère pour l'initiative.

Autour d'une grande bouteille d'eau fraîche, ils discutèrent de cette nouvelle situation. Coumba ne tarda pas à découvrir qui était réellement Bineta. Celle-ci avait déjà captivé son regard par sa couleur et sa beauté. Sans réfléchir, Cheikh approuva. Coumba, dans un élan de tentative, accepta également.

- On verra bien... Sois la bienvenue Bineta.

Au moment où les deux frères s'éclipsèrent pour discuter de "choses de frères", Mamadou confia à sa mutine de sœur, une merveilleuse mission.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant