38-Fanta, ma mère et mon bourreau.

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«Je te hais exactement comme je t'ai aimée. Et pourtant, je meurs d'envie de t'aimer encore. Parce que tu es ma mère.»

Cela faisait déjà bon nombre de minutes que Mamadou était parti, la laissant étrangère à ce qu'il allait faire.
Soudain, la porte bruissa. Mamadou la poussa plus amplement avant de faire demi-tour.

Tout s'expliqua lorsqu'il refit surface, un fauteuil roulant devant. Le cœur de Bineta tressauta. Les aller-retour de sa poitrine perdaient le tempo. Son regard embrumé se porta aussitôt sur Mamadou: espèce de traître. Derrière eux, Idja entra à son tour et vint prêt de sa sœur aînée.

- Grande-sœur, s'il te plaît, écoute-la. C'est notre mère. Min dalo lê [Je t'en supplie].

À vrai dire, la petite ne comprenait pas que sa sœur aînée puisse haïr autant leur mère. Elle ne demandait qu'à les voir réconciliées. Elle n'avait jamais été témoin des véritables scènes de la torture. La séance de baston qui avait suivi la découverte de la grossesse ne comptait pas, parce que la mère aurait ainsi réagi pour n'importe laquelle de ses filles... Du moins, c'était ce qu'elle voulait croire.

Bineta détourna son regard de tous. Elle n'aurait jamais pensé que revoir cette femme lui ferait aussi mal. Elle savait qu'elle éprouverait de la haine mais pas de la pitié, du dégoût mais pas de la faiblesse.

Idja s'en alla. Et ce fut au tour de Mamadou de venir parler à sa femme. Il commença par entrelacer leurs doigts si proches mais si loins.

- Tu peux m'en vouloir Bineta. Tu peux même me détester... si tu y arrivais. Mais il n'y avait pas d'autre solution. On sait tous que tu n'aurais jamais eu la force d'aller la voir de ton plein gré. Je vais vous laisser seules. Mais repense à tout ce que je t'ai dit Bineta, repenses-y bien. La paix pour toi-même.

À ce stade, elle évacuait le lac qui sommeillait en elle. Sans l'obliger à lui donner son visage, il repoussa tout simplement les tresses derrière ses oreilles et lui baisa longuement la tempe.

- Je veux juste que tu ailles mieux.

Il aurait aimé rester avec elle pour l'épauler, essayer de la guider. Mais c'était sa guerre à elle, il voulait qu'elle se lâche, qu'elle dise ce qu'elle avait en travers du cœur. Il voulait leur laisser l'intimité mère-fille. Qu'elles se criblent de mots si envie leur en prenait, mais qu'elles aient enfin une discussion, en réalité une dispute.

La porte se referma derrière le mari et la mère se lança.

- Bineta... Bineta, je te demande pardon... Pardonne à ta mère.

- Je n'ai pas... de mère. Riposta-t-elle en se retournant.

Son regard donnait l'impression qu'elle allait vomir, tellement elle était révoltée.

- Non... Ne dis pas ça.

- Ah non? Et qu'est-ce que je dois dire Fanta? Hum? Dis-moi ce que je dois dire parce qu'il y a exactement deux ans quatre mois deux semaines et quatre jours, tu m'as regardée dans les yeux, oui tu m'as regardée en face, et tu m'as jeté que tu n'étais pas ma mère... Alors, dis-moi ce que je dois te dire.

Les larmes d'une mère, qu'elles furent naissantes ou aussi volcaniques que celles de Fanta, adouciraient le cœur de n'importe quel enfant. Mais celui de Bineta demeurait impassible. Elle était tentée de lui cracher à la figure, tellement elle était affadie.

Sa mère faisait pitié à voir. La femme qui la tête haute, faisait de sa vie un enfer, était clouée dans une chaise à roulettes, incapable de marcher, de s'occuper d'elle-même. Elle pouvait juste ciller, parler, respirer, pleurer.
Et quelque part au fond d'elle, même si elle était prise de pitié, même si une partie d'elle faiblissait face à cette scène qui endolorirait l'âme de n'importe quel enfant, Bineta se réjouissait de voir sa mère tomber aussi bas, elle savourait d'enfin détenir le pouvoir.

Elle trouva la force de quitter le lit et s'agenouilla face à sa mère.

- Qu'est-ce que je n'ai pas fait, pour que tu m'aimes? Mais surtout, qu'est-ce que je t'ai fait, pour que tu ne m'aimes pas? Hein Fanta? Pourquoi tant d'amour à mon égard? Pourquoi moi et pas Idja? Pourquoi moi et pas Limata? Qu'est-ce que j'ai bien pu faire d'aussi impardonnable, pour que mon sourire innocent et mes rires de bébé n'aient pas réussi à adoucir ton cœur de pierre? Pourquoi après deux vaines tentatives d'avortement, tu n'avais pas compris que je devais naître? Réponds-moi! S'écria-t-elle en secouant brusquement le fauteuil.

Dans le séjour, Idja et son aînée soubresautèrent. Salimata se leva, prête à remettre Bineta à sa place. Mais Mamadou l'en empêcha.

- Lâche-moi! Lui hurla-t-elle en récupérant son bras.

Elle continua son chemin et Mamadou la suivit. À la moitié des marches, là où Idja ne pouvait plus les entendre, Mamadou s'autorisa à entamer les révélations que Bineta avait choisi d'épargner à ses sœurs. Elle voulait que ses sœurs meurent avec cette belle image de la mère normale qu'elles avaient. Elle voulait être la seule à vivre avec cette haine.

- Jusqu'aujourd'hui Salimata, je n'ai toujours pas compris pourquoi tu me méprises autant.

- Ah non? Et pourtant c'est très simple, tu as éloigné notre sœur de nous, tu l'as corrompue, tu l'as éloignée de sa famille.

- C'est ça ce que tu crois?

- Non. C'est ça ce qui est... Bineta a toujours été très attachée à nous tous ici, même si elle aimait créer la bagarre. Mais depuis qu'elle t'a épousée, on ne l'a plus jamais revue. Elle s'est éloignée au point où elle n'a même pas été fichue de passer le moindre coup de fil, et pire, de se hâter pour venir rester au chevet de maman lorsque tout a commencé. Il n'y a qu'une seule personne qui ait pu la transformer à ce point. Alors, à moins que ta famille ne soit aussi dans le coup, tu es le seul et l'unique coupable.

- Et pourtant tu as tort.

- Ah oui? Vraiment?

- Oui vraiment. Si ta sœur est enfin là aujourd'hui, c'est parce que JE l'en ai convaincue. Et deuxio, au lieu de tout me mettre sur le dos, tu devrais peut-être chercher à te mettre au parfum des atrocités que ta mère a commises...

- Arrête de raconter n'importe quoi. Depuis quand gronder son enfant est-il atroce? Si maman était plus dure avec elle, c'est forcément parce qu'elle était la plus belle des trois. Elle avait plus de chance de se faire avoir dehors. On ne peut pas non plus dire que Bineta ait été la plus sage enfant qu'il soit.

- Eh bien apparemment, votre mère cachait très bien son jeu à tout le monde ici. Au point où vous n'ayez jamais remarqué quoi que ce soit.

- Parce qu'il n'y avait rien à remarquer.

- Si ça te rassure de croire ça, libre à toi. En attendant, je ne vais pas te laisser entrer dans cette pièce et foutre en l'air tout ce que je me suis donné du mal à faire. Elles vont rester seules dans cette chambre, elles vont crier, se disputer, s'expliquer et seulement là, tu pourras entrer.

Têtue comme tous les membres de cette petite famille, Limata poursuivit tout de même son aventure. Mais Mamadou la rattrapa bien assez vite et lui fit barrage.

- S'il le faut Limata, je t'attacherai. Alors tu ferais mieux de retourner t'asseoir comme ta petite-sœur apparemment plus sage que toi bien que plus jeune.

Quelle femme ce regard n'effraierait-il pas? Si elle était très intelligente et capable de sauver des vies à coup d'ordonnance médicale, elle n'aurait pu se mesurer aux muscles de l'homme qui se tenait face à elle. Elle avait peur, et pourtant, elle tenta à nouveau de franchir la barrière.

À court de diplomatie, il la logea sur son épaule. Décidément, Bineta n'était pas la seule fille Adou à lui donner du fil à retordre.

- Repose-moi tout de suite!

Mais qu'en avait-il à faire de ses plaintes? Elle était aussi têtue que sa sœur. Il la déposa dans le fauteuil, d'où elle tenta de s'échapper. Mais elle n'avait pas encore compris à qui elle avait affaire.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant