7-Et si on faisait la paix? Ou pas.

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Le balai à pied à la main, Bineta remarquait amèrement qu'il n'avait pas touché à son petit-déjeuner. Elle le lui avait préparé avec tout son amour malgré tout. Pourtant elle savait qu'il était éveillé. Elle l'avait vu glisser le rideau derrière les persiennes, lui jeter un œil en catimini quand elle balayait la cour.

Ses mains chapeautant le pied du balai, elle laissa son menton y reposer. Et son regard triste se porta vers les escaliers. Elle reprit ses âmes, remit le balai à sa place, se dirigea vers la cuisine.

Elle déballa, sortit du réfrigérateur puis du congélateur, elle rinça, lava, fit bouillir, fit frire, hâcha, découpa, épulcha, grilla, dora, tamisa, délaya, assaisonna, pila, enflamma, remua, goûta... Bonjour petit plat.

Ils étaient peut-être en froid, mais la sauce lui donnerait rapidement chaud à ce cher Mamadou.

Enfermé dans cette pièce équipée d'une immense bibliothèque éparse, il aurait dû être en pleine besogne. Mais non. Il avait fini par s'oublier derrière ses paupières.

Elle toqua puis toqua de nouveau avant d'appuyer sur le poignet. Son regard se balada au travers de ce sanctuaire de travail. Le phénoménal spectacle de la tête contre la table l'attendrissait. Alors qu'elle allait entrer, elle lâcha le poignet et sa pensée se porta sur les toilettes.

La porte étant entre-bâillée, ses bruissements successifs aux vents tirèrent sur les paupières de Mamadou. Il sembla perdre instantanément ses repères avant de vider tout ce qu'il lui restait d'air dans les poumons.

Alors qu'elle quittait les toilettes, elle remarqua l'absence de son époux dans son bureau. La porte était déjà refermée.

L'homme affamé, en franchissant le seuil de son cabinet, avait déjà été transporté par les particules odorantes qui échappaient aux saladiers et volaient la vedette à l'oxygène. Il avait découvert chaque récipient, dévoilant avec allégeance chaque composante de ce déjeuner qui s'annonçait bien. Il s'empressa de rendre ses mains propres.

En revenant de la cuisine, il la vit descendre les marches, vêtue de sa camisole florale et de sa paire de tongs rose! Il avait bien deviné.

À tout bien réfléchir, les tapettes étaient ce qu'elle portait le plus, elle en avait toute une panoplie. Ses sorties se limitaient aux marchés, super ou même hyper. De son propre chef, la dame n'avait jamais été fanatique des fêtes ou des virées festives. Elle aimait être à la maison, comme un œuf dans sa coque, un escargot dans sa coquille, une tortue dans sa carapasse, un poisson dans l'eau, un oiseau dans les airs, les yeux dans leurs orbites! D'ailleurs, son fort caractère lui permettait de protester chaque fois qu'elle n'était pas pour une sortie. Elle avait tellement protesté, tellement souvent que Mamadou avait oublié comment le lui proposer.

Le regard de Mamadou se figea sur ces jambes aussi malingres que costaudes; il fallait bien assez de matière pour supporter toute la marchandise, mais assez de finesse pour maintenir son éclat. Dans sa visuelle ascension, il en vint à une conclusion: il était temps d'en finir avec ce froid glacial.

Il se garda de lui sourire jusqu'à ce qu'elle ne parvienne à table. Elle s'y installa en même temps que lui. Ils passèrent tout le repas à se jeter des yeux fugitifs et peu parleurs. Elle avait fait son premier pas en lui faisant don de cette spécialité de la Côte d'Ivoire: le Foutou banane¹ accompagné de cette sauce pistache à la dinde. Elle espérait alors une réponse, mais il ne semblait toujours pas vouloir lui parler.

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1: Encore connu comme le foufou ou fufu banane, c'est une pâte comestible, solide ou molle selon le goût du consommateur, réalisée à partir d'un mélange de banane plantain et de manioc, bouillis puis pilés.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant