15-Il me faut du renfort pour te canaliser.

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Mamadou n'était pas du genre à se confier sur sa vie privée, même pas à ses amis les plus proches. Il préférait avoir recours à sa famille. Ils étaient pleins d'expérience et dignes de confiance, son père et sa mère. Mais ce matin-là au bureau, il avait l'esprit ailleurs. Les mots crus de sa femme ne cessaient de tourner en bourrique dans sa tête. Et son ami ne manqua pas de le remarquer.

- Mamadou, ça va?

Marcus était subordonné à Mamadou. Néanmoins vieux camarades d'école, il n'y avait pas de complexe de supériorité entre ces deux là. Ils se respectaient et chacun savait rester à sa place. Mais surtout, ils étaient amis.

- Euh oui... Oui, opina-t-il sans adresser le moindre regard à Marcus.

Il feignait d'être concentré dans ces bas de pages qu'il émargeait. Et lorsqu'il eut fini, il referma la chemise sur le dossier et le tendit à son ami.

- Mamadou.

- Quoi?... Excuse-moi, je suis un peu à cran en ce moment.

- Oui biensûr. Laisse-moi deviner... Bineta.

Qui ne savait pas que cette femme était un sacré casse-pieds? Avant d'être mariés, ils avaient été fiancés, et avant d'être fiancés, ils étaient sortis ensemble tout court. Tout le monde avait compris que Bineta était une sacrée damoiselle. Mais ils l'aimaient bien, sauf Youssouf: «il fourait sa gueule un peu trop partout». Et Bineta ne le lui concédait pas, surtout lorsque cela touchait à son couple.

- À ton avis, qu'est-ce qu'une mère pourrait faire à son enfant au point de la renier?

- Tu as bien dit... Renier?

- Oui je sais, ça paraît fou mais... Dis-moi un peu ce que tu en penses.

- Eh bien... À vrai dire, j'ai énormément de mal à imaginer un truc pareil puisque, bien que ma mère et moi passions notre temps à nous chamailler, je n'arriverai jamais à ne serait-ce que la détester.

- Autrement dit, pour toi il n'y a rien qui puisse justifier un tel affront?

- À moins qu'elle n'ait tué mon père, je ne vois rien d'autre.

C'était plus une blague qu'une conclusion.

Tuer le père? En effet, Bineta avait perdu son père. Il était décédé au lendemain de leur mariage, transformant ce qui était censé être leur lune de miel en enfer.
Ils avaient embarqué pour la Côte d'Ivoire à la minute où elle avait appris la nouvelle. Son père était décédé d'un choc anaphylactique. Admis trop tard à l'hôpital, les médecins n'avaient pu le sauver.

S'il n'avait noté aucun conflit entre mère et fille par le passé, c'était peut-être parce qu'il n'y en avait pas encore. Peut-être qu'elle n'avait haï sa mère qu'après ce malencontreux événement, d'où cette absence totale de vouloir rendre visite aux siens.

- Mamadou tu es toujours là?... Mamadou...

- Oui oui t'inquiète. Merci pour ton aide Marcus.

- Tu mijotes quoi encore? Je connais cette tête.

- Aah Marcus, laisse tomber.

- Mais ouais, c'est ça.

Son collègue se leva et vaqua à ses occupations. Quant à Mamadou, il venait peut-être d'élucider le mystère.

***

Rentré chez lui bien après l'apparition de la lune, Mamadou retrouva son épouse occupée comme toujours à mettre la table. Titan avait manifesté toute sa joie, il avait déjà dîné lui.

Elle le remarqua, vint à lui, lui souhaita la bienvenue et posa ses petits doigts sur sa vieille sacoche pour la lui prendre. Mais il l'arrêta.

- Ça va?

- À merveille... Tu me laisses prendre le sac maintenant ou bien tu veux le déposer toi-même?

Il lâcha prise et elle monta ranger cette bonne vieille sacoche à sa place.

Comment demander à une femme si elle haïssait sa mère parce que cette dernière avait tué son père? Il alla se rafraîchir comme tous les soirs en rentrant puis redescendit à la SAM où son épouse l'attendait.

Tout le repas durant, il mangeait en pensant à la façon dont il aurait pu aborder un sujet aussi délicat: est-ce que ton père a tué ta mère?... Non quel idiot! C'était plutôt l'inverse. Est-ce que ta mère a tué ton père? Est-ce que tu hais ta mère parce qu'elle a tué ton père?
En réalité, il y avait très peu d'options pour se lancer sur un terrain pareil. Il n'y avait pas de bonne manière de le faire, juste des manières plus folles les unes que les autres.

- Bineta.

- Je n'ai pas de mère.

- Elle est mourante Bineta. Alors, à moins que tu n'aies une assez bonne raison pour justifier ton comportement, tu iras rester à son chevet.

- Et si je te dis que je n'ai pas de mère, n'est-ce pas assez suffisant pour que tu comprennes que je n'ai personne à visiter?

- Très bien. Tu ne me laisses pas le choix.

Mamadou se saisit de son téléphone.

- Qu'est-ce que tu fais?

- J'appelle du renfort.

- Comment?

- J'appelle tes sœurs.

- Quoi?! Non, tu n'as pas le droit de faire ça!

- Eh bien t'as qu'à regarder. Je parie qu'elles t'ont déjà rappelée plusieurs fois depuis parce que tu ne venais pas. Mais bien entendu, tu n'as pas décroché parce que tu avais peur de faire face à cette vérité.

"Allô„ répondit une voix féminine à l'autre bout du fil.

- Bonsoir Karidja. Comment vas-tu?

"Ah... Je vais bien oh beau-frère, on rend grâce au ciel, et toi?„

- Oh ça va. À part le fait que j'aie un léger soucis.

"Un soucis?„

- Mamadou arrête, supplia-t-elle.

- Oui, répondit-il à sa belle-sœur.

"Laisse-moi deviner... C'est grande-sœur n'est-ce pas? Justement, je comptais t'appeler aussi... Demain„

Bineta, à bout, se leva. Elle s'apprêtait à fuir lorsque d'une main ferme harponna son poignet.

- Toi tu restes là.

Mamadou & Bineta 🖤Où les histoires vivent. Découvrez maintenant