Mamadou & Bineta 🖤

16-Ma mère a avorté de moi, enfin presque.

Bineta était littéralement au bord de l'abîme. Elle voulait s'en aller mais la prise sur son poignet l'en empêchait.

- Mamadou, s'il te plaît. Supplia-t-elle de nouveau.

"Beau-frère, tu es là?„

- Oui Karidja, ne t'inquiète pas... Bineta, rassois-toi.

- Mamadou...

- Je t'ai dit de te rasseoir.

Elle s'exécuta et il reprit sa discussion avec Karidja.

- J'ai appris pour votre mère... Comment va-t-elle?

"Hum... Elle est là oh... Les médecins ont dit qu'ils ne pouvaient plus rien faire, alors... Elle n'arrête pas de demander à voir grande-sœur tu sais... Mais j'ai beau l'appeler elle ne décroche pas... Salimata est complètement fâchée, elle ne veut même plus entendre parler de grande-sœur.„

Mamadou pouvait sentir le désespoir caché derrière les mots de sa belle-sœur. Cette guerre que semblait mener Bineta contre sa mère n'affectait pas qu'elle en fin de compte.

- Je comprends. Je suis vraiment navré que les choses soient ainsi.

"Hum... Si Bineta pouvait penser comme toi. J'admets que maman a toujours été très stricte avec elle plus qu'avec Limata et moi mais... Elle reste notre mère.„

- Karidja... Bineta est à côté de moi, je vais te mettre sur haut-parleur.

"... D'accord„

Bineta jusque là, la main de Mamadou lui servant de bracelet, avait la tête baissée, tentant de persuader ses oreilles de ne pas écouter. Elle releva enfin sa tête.

- Ça y est Karidja, elle peut t'entendre.

- Bonsoir grande-sœur.

Dans l'immédiat, aucune réponse n'émana de Bineta.

- Bineta, intervint son mari.

Elle le fusilla du regard.

- Grande-sœur, maman n'arrête pas de demander d'après toi... Elle n'appelle que toi à longueur de journée: Bineta - je veux voir Bineta - où est ma fille?

- Et depuis quand suis-je devenue sa fille?

- Grande-sœur, ne dis pas ça.

- Ah d'accord. Et que suis-je censée dire?

Mamadou retrouvait son épouse agressive et téméraire: oui, c'était bien de retrouver son chez soi. De loin, il la préférait à cette femme abattue qu'il avait côtoyée ses trente-deux dernières heures.

- Grande-sœur, je sais que tu lui en veux parce qu'elle n'a pas toujours été très tendre avec toi...

- Pas très tendre?! Non mais c'est une blague! Cette femme a passé toute son existence à me pourrir l'existence, à me montrer que je ne valais rien, que j'étais le vilain petit canard. Elle aurait même souhaité que je ne sois jamais née! Alors ne me parle pas de tendresse parce que cette folle ne sait même pas ce que ça veut dire! Oh et dis-lui bien, je ne viendrai pas la voir! Si elle doit mourir, qu'elle meurt! Mais je ne lui ferai pas le plaisir de la laisser m'insulter même sur son lit de mort!

Bineta trouva la force de s'arracher à Mamadou. À vrai dire, il avait déjà diminué sa prise. Ce dégoût avec lequel elle parlait de sa mère, ce dédain, elle n'en avait rien à faire que celle-ci meurt, ce serait même un soulagement pour elle.

- Grande-sœur.

- Elle n'est plus là Karidja, elle s'est levée.

- Hum...

- Karidja, je te le promets, je ferai tout mon possible pour qu'elle vienne.

- J'espère que tu y arriveras. Nous savons tous à quel point elle est têtue.

Et désormais, combien elle était blessée. Une mère tyranique n'aurait pas suffit à éveiller une telle répugnance, se disait Mamadou. Nous avons tous eu ce parent un peu trop sévère au point de le trouver autocrate.

- Bonne soirée Karidja. Passe le bonsoir à ta sœur et... À maman aussi: soyez fortes.

- Merci pour tout.

Les faitouts ainsi que les plateaux étaient toujours sur la table. Ils n'avaient pas bougé et ne demandaient qu'à être vidés. Mais dans une ambiance pareille, personne n'avait plus faim.

Mamadou reposa son téléphone et se dirigea vers la chambre à coucher. Il s'attendait déjà à se faire engueuler, elle n'allait jamais lui pardonner ce coup bas: appeler sa petite-sœur et la forcer à lui parler. À son arrivée dans la carrée, elle se tenait face à la glace, les paumes à plat sur le toit du meuble.
Il resserra ses poings et s'avança vers elle. Elle se retourna brusquement, le visage tout humecté.

- Mamadou. S'il te plaît... Je ne veux pas retourner là-bas, je ne veux pas retourner la voir. J'en ai eu assez de la regarder m'injurier à longueur de journée, me dénigrer, me montrer que je n'étais rien, qu'elle se serait bien passée de moi. Mamadou... Elle a essayé d'avorter quand elle était enceinte de moi... Ne me force pas à retourner là bas, je t'en supplie...

Elle n'avait pas besoin de mots, elle n'avait pas besoin qu'on essaie de la raisonner. Elle avait besoin de chaleur, elle avait besoin d'une épaule. Alors il lui offrit son corps tout entier. Quand avait-elle pleuré pour la dernière fois? Ils n'étaient même pas encore mariés.