🫏02. La folie d'une reine

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CASPIAN

Pendant ce temps, en Rivecœur, les deux petits princes grandissaient dans l'amour de leurs parents. Les souverains avaient fini par s'accoutumer de la laideur de Cédric et ils aimaient leurs fils autant l'un que l'autre en dépit de leurs différences. Grâce à cela sans doute, les deux frères furent vite inséparables et, même si les autres enfants ne voulaient pas approcher Cédric, il était impossible pour Caspian de faire quoi que ce soit en son absence.

À l'occasion de leur dixième anniversaire, la Fée des Lilas offrit un âne doté d'un pouvoir merveilleux : tous les matin, lorsque les palefreniers venaient nettoyer sa litière, ils trouvaient des pièces d'or en quantité à la place du crottin. Les souverains prenaient alors grand plaisir à venir dans les écuries avec leurs fils pour ramasser les pièces et s'en aller en ville faire la charité. C'était pour eux l'occasion de passer du temps en famille tout en enseignant aux petits princes des leçons importantes en vue du jour où ils régneraient à leur tour.

Puisqu'ils étaient frères jumeaux, le droit d'aînesse ne s'appliquait pas et de toute manière, ni la reine, ni le roi ne voulaient semer la discorde entre les deux en évoquant si tôt ces pénibles sujets de succession. Ils préféraient élever leurs fils de la même façon, en se disant qu'un jour viendrait où il faudrait s'en préoccuper, mais pas tout de suite. En attendant, ils faisaient venir à la cour les meilleurs professeurs du continent afin d'offrir aux petits princes une éducation à la hauteur de leur intelligence. Car la fée n'avait pas menti, Cédric avait une vivacité d'esprit impressionnante pour son jeune âge, une excellente mémoire et une sagesse remarquable, éclipsant ses traits disgracieux. Et il entraînait son frère avec lui, ce qui faisait dire à la cour que Rivecœur aurait un jour le roi le plus intelligent de toute son histoire.

Malheureusement, les épreuves prédites par la fée finirent inévitablement par pointer le bout de leur nez. Alors que les princes allaient fêter leur seizième anniversaire, un hiver terrible frappa toute la région. Il gela à pierre fendre pendant plusieurs semaines et le roi tomba gravement malade. Malgré les soins de tous les médecins que l'on avait appelés à son chevet, sa santé continua à se dégrader jusqu'à ce qu'il devienne évident qu'il ne verrait pas le retour du printemps. Un gris matin d'hiver, après avoir embrassé une dernière fois ses enfants, il fit jurer à son épouse de ne se remarier qu'avec un homme qui le surpasserait en tout, puis il poussa son dernier soupir.

Folle de chagrin, la reine passa plusieurs jours à pleurer et à se lamenter, oubliant jusqu'à ses enfants. Ce furent des mois bien sombres pour le royaume tout entier, mais surtout pour Caspian et Cédric livrés à eux-mêmes. Sans le grand conseil des ministres, Rivecœur aurait probablement connu une crise sans précédent, cependant tous les membres de ce conseil travaillèrent d'arrache-pied pour que le deuil de la famille royale ne plonge pas le royaume tout entier dans la catastrophe. En dépit de leur chagrin et de leur jeunesse, les deux princes firent de leur mieux pour épauler les ministres, avec l'espoir que leur mère parviendrait à se remettre de son cœur brisé.

Il s'écoula pourtant deux années avant que l'on ne voie reparaître la reine, complètement changée par son deuil et l'esprit affecté par ces longs mois de chagrin. Les princes avaient dix-huit ans à présent, et Cédric était plus laid encore qu'à sa naissance, alors que Caspian rayonnait. Son sourire charmait tout le monde et ses yeux doux faisaient tourner bien des têtes, quand l'humour et l'esprit de Cédric plaisaient grandement à toute personne capable de faire fi de sa figure pour venir lui parler. Les deux étaient toujours aussi fusionnels, leur affection renforcée par ces deux années de peine, et ils furent aussi heureux l'un que l'autre de voir leur mère revenir peu à peu à la vie extérieur.

Hélas, la pauvre reine avait tant souffert du décès de son mari qu'elle en avait la raison altérée. Sous prétexte de sa laideur, elle finit par prendre Cédric en horreur et donner raison aux mauvais plaisantins qui le surnommaient toujours «Riquet à la Houppe». Caspian essaya bien de défendre son frère, mais il comprit bien vite que sa mère ne recherchait sa compagnie qu'à condition qu'il se taise. Pire encore, les deux frères comprirent que leur mère avait décidé de se remarier, sans écouter ni conseil, ni recommandation. Elle fit envoyer des émissaires partout dans le royaume à la recherche d'un homme qui surpasserait son défunt mari en tout, comme elle l'avait juré. Mais le seul homme qui corresponde à ces impossibles critères, la reine le rencontra dans son palais, au détour d'un couloir. Caspian riait à une plaisanterie de son frère et son visage, baigné de soleil, resplendissait d'une beauté incomparable. Aussitôt, la reine décida qu'elle ne prendrait personne d'autre pour époux, et elle le fit venir dans son cabinet pour lui annoncer la nouvelle.

La Fée Marraine (tomes 1 & 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant