AUGUSTE
La sonnerie de l'horloge tira Auguste du sommeil et il fronça les sourcils en essayant de compter les coups, mais c'était le quart avant l'heure et il ignorait laquelle. Dans ses bras, Cen dormait toujours, l'air incroyablement paisible, et il dut résister à l'envie de l'embrasser sur le front, ne tenant pas à le réveiller. Il n'en revenait pas du naturel calme et simple de Cen, et de combien il était facile d'être avec lui. Il avait un peu craint de peiner à s'endormir avec un étranger dans son lit, et avait en fait si bien dormi qu'il se sentait prêt à replonger.
Après seulement quelques heures en compagnie de Cen, Auguste avait la certitude qu'il lui suffirait d'un rien pour en tomber éperdument amoureux. Si seulement il lui était possible de l'aider, de le protéger des dangers qui l'obligeaient à s'enfuir au premier coup de minuit... il ne rêvait que de pouvoir l'emmener avec lui en voyage, à la découverte du monde, et de prendre le temps d'apprendre à se connaître et à s'aimer.
Dans d'autres circonstances, s'il n'y avait eu cette menace informe planant sur Cen et l'horaire à respecter, il aurait très certainement usé de tout son charme pour l'attirer tout de même dans son lit. En le voyant arriver tout à l'heure, sa mâchoire s'était décrochée lorsqu'il avait découvert sa tenue, et surtout le corset piqueté d'étoiles soulignant la courbe gracieuse de sa taille. Ses mains l'avaient démangé de pouvoir l'enlacer, et il aurait rêvé de pouvoir finir la nuit avec lui entre les draps, pour bien moins de sommeil.
Toutefois, il devait bien convenir que c'était étrangement plus agréable de seulement le tenir tout contre lui, lui permettant de dormir sereinement, son beau visage dénué de crainte ou de fatigue. Il avait envie de s'enrouler tout autour de sa silhouette trop frêle, comme un bouclier ou une couverture, et son désir initial s'était modifié, alimenté par la tendresse qu'il avait pour Cen, devenant quelque chose de bien plus doux et, il était prêt à le parier, plus solide. Ne pas laisser parler son corps avant son cœur n'avait fait que lui donner tout le loisir de s'intéresser à l'homme qu'était Cen, au-delà de ses merveilleux sourires, de ses yeux gris et de son charme discret. Il n'en était que plus mordu, et véritablement très proche de tomber amoureux.
Perdu dans ses rêveries d'avenir et d'amour, encore ensommeillé, il n'avait pas tellement conscience du temps et il sursauta lorsque l'horloge sonna à nouveau. Distraitement, il attendit la fin de la mélodie signalant l'heure pleine, et attendit les coups suivants... sans qu'ils ne sonnent. Figé, il tendit l'oreille, avant de comprendre que minuit était en fait passé depuis longtemps et que l'horloge venait tout simplement de marquer la première heure. Un cruel dilemme lui serra le cœur, parce qu'il avait promis à Cen de le réveiller mais d'un autre côté il était évident que son cavalier avait cruellement besoin de sommeil et il répugnait à l'en priver.
Finalement, ce fut sa promesse qui gagna, même s'il était malheureux d'avoir à réveiller Cen d'un sommeil si paisible et profond. Ne voulant pas le secouer, il glissa doucement une main dans ses cheveux et se pencha pour l'embrasser sur le front puis sur le bout du nez en revenant effleurer sa joue, jusqu'à ce que ses yeux gris s'ouvrent lentement.
— Il est déjà minuit ? marmonna Cen en bâillant.
— J'ai bien peur que nous l'ayons loupé tous les deux, avoua Auguste avec embarras. Je viens seulement de me réveiller et... l'horloge a sonné la première heure.
— Une heure ?! Oh misère ! Je dois absolument partir !
L'air subitement bien plus réveillé, Cen bondit hors du lit, au grand regret d'Auguste. Avec des gestes rendus tremblants par la panique, il commença à se rhabiller et le prince s'empressa de lui venir en aide, tout en répétant des excuses pour avoir manqué à sa promesse. Jusqu'à ce que Cen le fasse taire en posant les mains sur ses joues pour l'embrasser profondément.
— Je ne vous en veux pas, mon cœur, murmura-t-il contre ses lèvres. Si cela n'avait tenu qu'à moi, j'aurais passé la nuit entière dans vos bras. Mais je dois vraiment filer d'ici, sans quoi j'aurai de terribles ennuis.
Il parut surpris de découvrir que ses chaussures étaient toujours là et il les enfila du bout des orteils, sans la moindre considération pour leur délicatesse. Auguste dut quand même le soutenir pour lui épargner une chute, et son cœur s'écorcha un peu lorsque Cen en profita pour lui voler un nouveau baiser, comme si c'était la dernière fois qu'il pouvait se le permettre.
— Adieu, chuchota-t-il. Et encore merci pour... tout. Vous avez été merveilleux, et je chérirai toujours ces quelques heures passées dans vos bras.
Sur un tout dernier baiser, Cen se détourna finalement, rattacha son masque et quitta la chambre en courant, laissant Auguste figé au milieu de sa chambre, les lèvres encore brûlantes de ce baiser d'adieu. Et puis son esprit se remit enfin en mouvement et le prince se précipita à la suite de son cavalier, espérant pouvoir le rattraper avant qu'il ne disparaisse.
— Attendez ! cria-t-il en remontant le couloir à toute vitesse, dérapant sur le carrelage à cause de la soie nue de ses bas. Je vous en prie, Cen, attendez ! Laissez-moi au moins vous reconduire à votre voiture !
Il avait conscience du désespoir dans sa voix mais il s'en fichait parce qu'il était terrifié à l'idée de voir Cen partir et de ne jamais parvenir à le retrouver. Maintenant qu'il l'avait rencontré, qu'il connaissait la mélodie de son rire, l'éclat de son regard et le goût de son sourire, il ne pouvait imaginer vivre sans plus jamais le revoir. Mais Cen ne ralentissait pas, et ils arrivèrent à la porte de la salle de bal, dans laquelle il s'engouffra sans hésiter.
Ignorant ses pieds nus et sa mise débraillée, Auguste s'y élança à sa suite, pour se retrouver presque aussitôt ralenti par Simon et Ann. Mais quelque chose dut passer sur son visage, parce que les deux le laissèrent tout de même passer, non sans lui avoir fait perdre quelques précieuses secondes. Sans se soucier de bousculer quelqu'un, il accéléra encore, traversa la salle et déboula dans le grand hall, à temps pour voir Cen franchir la porte d'honneur. Mettant à profit la longueur de ses jambes, Auguste bondit presque à sa suite, alors que son cavalier descendait l'escalier quatre à quatre. Dans sa précipitation, Cen se tordit brusquement la cheville, ce qui lui valut de perdre l'un de ses souliers de verre et permit au prince de le rattraper, juste à temps pour lui éviter de dégringoler le reste des marches.
— Je vous en supplie, bredouilla-t-il en le serrant contre lui. Ne m'abandonnez pas comme ça !
— Je n'ai pas le choix ! répliqua Cen, dont le visage brillait de larmes sous son masque. J'aimerais rester toujours avec vous, mais je ne peux pas !
— Alors je vous fais le serment que je vous retrouverai, gronda Auguste. Quoi qu'il m'en coûte, je vais vous chercher, je vais vous trouver, et je ne vous perdrai plus jamais. J'ai failli à ma première promesse, je ne parjurerai pas la seconde. Je vous dois le monde, Cen, et je vous l'offrirai.
Cette fois, ce fut lui qui attira Cen à lui pour un baiser profond, désespéré, à couper le souffle. Lorsqu'il le relâcha, il voyait flou à cause des larmes et il les essuya du dos de la main alors que son cavalier s'écartait, l'air aussi malheureux que lui, pour finir de descendre l'escalier. Un splendide carrosse d'or et de verre patientait en bas, dans lequel il s'engouffra, et Auguste ne perdit pas une seconde à interpeller les gardes postés au pied de l'escalier.
— À cheval ! leur ordonna-t-il. Suivez ce carrosse ! Je veux savoir où il va !
Aussitôt, les deux gardes sautèrent en selle et se lancèrent à la poursuite de la voiture enchantée. Alors seulement, Auguste remarqua que Cen avait oublié de ramasser sa chaussure de verre qu'il avait perdue dans sa précipitation. Avec précaution, il s'accroupit pour la ramasser et en effleurer la courbe, émerveillé par la délicatesse de l'objet. Il était reconnaissant d'avoir au moins un souvenir, la preuve que Cen n'était pas un produit de son imagination, mais plus encore il comptait bien employer ce soulier esseulé pour retrouver le second, et son cavalier en prime. Et pour cela, personne n'était mieux qualifié que Maxime.
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La Fée Marraine (tomes 1 & 2)
RomanceIl était une fois, entre les royaumes d'Armancœur, Rivecœur et Houdancœur, la Fée des Lilas que le hasard avait dotée de nombreux filleuls. À vouloir faire le bien, il arrive que des maladresses se produisent, et tous les dons ne sont pas toujours p...