SOLEN
Une fois encore, Solen se retrouvait devant le petit salon royal, les bras chargés de documents, sans avoir la moindre idée de ce qu'il était venu faire là. Sourcils froncés, il rééquilibra son chargement en essayant de refaire le cours de sa matinée pour tâcher de se rappeler les raisons qui l'avaient mené ici. Comme tous les matins, il avait commencé la journée par une heure d'audience pour écouter les doléances populaires, puis il y avait eu le conseil pour définir les actions à mener d'après ces audiences, et ensuite il avait dû poser pour le peintre qui faisait son premier portrait officiel. Entre temps, il avait croisé la ministre de la Diplomatie, au sujet d'une ambassade venue de Rivecœur — ou Armancœur, il ne savait déjà plus —, et puis un conseiller lui avait donné une liasse de documents, et au final il se retrouvait devant une porte, les mains pleines, sans plus savoir ce qu'il venait dire à ses parents ni ce qu'il tenait entre les mains.
— Réfléchis, Solen... murmura-t-il. Réfléchis...
Si d'ordinaire il avait plutôt bonne mémoire, elle lui faisait toujours défaut dans ce genre de situation parce que son esprit était incapable de se concentrer bien longtemps sur une seule chose. Son père disait qu'il avait un papillon dans la tête, curieux de tout mais ne se posant jamais longtemps au même endroit. Ce qui rendait d'autant plus difficile la tâche de se rappeler ce qu'il était en train de faire. Fronçant toujours les sourcils, il se pencha sur les documents qu'il tenait pour essayer d'en identifier le contenu. La lecture n'était vraiment pas son fort, surtout lorsque l'écriture n'était pas soignée, et il eut besoin d'une bonne poignée de minutes pour arriver à déchiffrer quelques lignes.
— Ah, oui, le rapport sur les travaux de la capitale, marmonna-t-il pour lui-même. À donner au ministre du commerce.
Essayant de rester concentré, il se lécha le bout du doigt pour continuer à feuilleter les documents, et sursauta un peu en entendant son nom. Surpris et sorti de ce qu'il faisait, il redressa la tête pour regarder tout autour de lui, avant de comprendre qu'en fait c'était dans le salon royal que l'on parlait de lui. Incapable de s'en empêcher, maintenant que cela avait attiré son attention, il tendit l'oreille pour entendre ce que l'on disait à son sujet.
— Quelle est donc la réponse de Sa Grâce ?
La voix grave et chaleureuse de son père dissimulait un éclat de mise en garde, et Solen se souvint que ses parents devaient recevoir dans la matinée l'envoyé de la duchesse du Midi, au sujet d'un possible mariage avec sa fille. Pour être honnête, le prince n'avait pas particulièrement envie de se marier, et encore moins d'épouser une femme. Depuis ses quinze ans environ, il était entouré de jeunes filles à marier, bien plus attirées par son joli visage et son rang que par sa compagnie. Et plus elles l'entouraient, plus il se rendait compte qu'il était bien davantage attiré par les garçons, lesquels ne cherchaient jamais vraiment à l'approcher parce qu'il n'arrivait jamais à se mêler à leurs activités. Cela faisait donc trois ans qu'il essayait de se faire une raison en se disant qu'il pourrait parfaitement vivre sa vie sans tomber amoureux.
Pour autant, comme il avait fêté ses dix-huit ans, il approchait de l'âge auquel on commençait à réfléchir au mariage, ne serait-ce que pour des manœuvres politiques auxquelles il ne comprenait rien. Ses parents avaient été très clairs sur le sujet : ils ne le forceraient jamais, et s'il ne voulait pas se marier, ils l'accepteraient et trouveraient une autre solution pour le bien du royaume. Cependant, il y avait des traditions à respecter, et Solen savait que ses parents recevaient régulièrement de grandes familles houdancourtoises pour parler d'alliance et d'épousailles. Comme aujourd'hui la duchesse du Midi, ou du moins son envoyé.
— Mademoiselle a exprimé son refus, annonça celui-ci. Elle ne souhaite pas unir sa vie au prince Solen dont les lacunes intellectuelles sont incompatibles avec son érudition.
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La Fée Marraine (tomes 1 & 2)
RomanceIl était une fois, entre les royaumes d'Armancœur, Rivecœur et Houdancœur, la Fée des Lilas que le hasard avait dotée de nombreux filleuls. À vouloir faire le bien, il arrive que des maladresses se produisent, et tous les dons ne sont pas toujours p...