AUGUSTE
Cela ne faisait pas dix minutes qu'Auguste et Maxime étaient arrivés au manoir de Frêne-Aux-Lys et déjà Auguste sentait sa patience s'étioler. Il n'appréciait pas du tout l'attitude de la comtesse, avec son petit sourire hautain et son regard froid, et ne pouvait s'empêcher de la comparer à une sorte de prédateur observant son entourage à la recherche d'une proie. Son fils semblait avoir le même caractère, arborant un air dédaigneux qu'Auguste mourrait d'envie de lui faire ravaler, et sa fille était sur le point de se pâmer devant eux.
Un thé leur avait été servi, parfaitement infusé et accompagné d'élégants petits biscuits, mais il n'y avait pas la moindre trace d'un domestique dans le manoir. Et encore moins d'un valet nommé Cendrillon ou même d'un souillon surnommé Cul-Cendron. Après avoir échangé un regard avec son frère, Auguste fit appel à toute la patience et l'amabilité qu'il lui restait pour sourire à la jeune femme assise face à lui.
— Bien, annonça-t-il platement, voici donc la pantoufle de verre. Je vous laisse l'essayer, Mademoiselle ?
Parce qu'il était hors de question qu'il s'agenouille comme un cordonnier ou un valet devant cette précieuse ridicule pour lui faire enfiler un soulier appartenant à quelqu'un d'autre. Rougissante, elle se jeta presque sur la chaussure mais son pied était bien trop petit pour la remplir en entier et elle eut beau faire de son mieux pour le cacher, le soulier la quitta sitôt qu'elle se releva.
— C'est bien dommage, commenta Auguste sans en penser un mot. Voulez-vous tenter votre chance, Monsieur ?
Le frère de la demoiselle acquiesça comme un grand seigneur accordant une faveur, et Auguste ne garda son calme qu'en se concentrant sur la main de Maxime, serrée sur son bras. Il était évident que son frère, encore plus impulsif que lui, luttait pour ne pas s'agacer. Mais ils ne pouvaient pas céder à un mouvement d'humeur, pas si près du but, et surtout pas si cela risquait de mettre Cen encore plus en danger. Alors ils se contentèrent de regarder silencieusement Anastase de Frêne-Aux-Lys s'essayer à enfiler un soulier bien trop petit pour ses grands pieds. Il ne parvint qu'à y glisser ses orteils, malgré ses efforts et ajustements maladroits, et Auguste prit un malin plaisir à lever la main.
— Épargnez-vous cette peine, il est évident cette pantoufle ne vous va pas. Êtes-vous les deux seules personnes de cette maison à avoir assisté aux bals ?
On lui assura que oui, et la comtesse ajouta d'un ton sans appel que leur famille ne comptait personne d'autre depuis le décès de son mari. Avec désespoir, Auguste chercha le moyen de creuser un peu plus, ne serait-ce que pour vérifier que le célèbre Cendrillon travaillait bien ici. Avisant la robe de Javotte de Frêne-Aux-Lys, il posa une question au hasard.
— La coupe de vos habits est très élégante, lui dit-il en forçant son plus beau sourire. Elle vous met délicieusement en valeur. Qui en est donc l'habile couturier ?
— Notre valet, Cendrillon, s'enorgueillit la jeune femme. C'est le meilleur domestique d'Armancœur, à notre service exclusif !
Entendre enfin ce nom dénoua quelque chose dans le cœur d'Auguste et il se redressa en évitant de regarder son frère. Cette fois, ils tenaient quelque chose !
— Son talent est indéniable, en effet. Me serait-il possible de le rencontrer ? Je suis moi-même féru de mode et j'aimerais grandement avoir l'occasion de lui faire part personnellement de mon admiration.
Tout bas, Maxime répéta «admiration» d'un ton légèrement gouailleur et Auguste répliqua d'un léger coup de coude dans les côtes en faisant de son mieux pour l'ignorer. Il serait temps de plaisanter une fois qu'ils auraient bel et bien retrouvé Cen. Toutefois, sa demande avait jeté un froid et il remarqua que la demoiselle face à lui hésitait et jetait des coups d'œil inquiets vers sa mère dont l'expression s'était faite glaciale.
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La Fée Marraine (tomes 1 & 2)
RomantikIl était une fois, entre les royaumes d'Armancœur, Rivecœur et Houdancœur, la Fée des Lilas que le hasard avait dotée de nombreux filleuls. À vouloir faire le bien, il arrive que des maladresses se produisent, et tous les dons ne sont pas toujours p...