CÉDRIC
Comme l'avait prédit Solen, l'année suivante fut l'occasion de tellement de noces princières qu'on la surnomma dans toutes les chroniques du continent "L'Année Nuptiale". Les premiers furent bien évidemment Jens et Erling, dont l'union fit parler l'empire tout entier encore plus que leurs fiançailles. Ils avaient réussi le tour de force de donner une cérémonie à la fois grandiose d'apparat et très simple de romantisme, de quoi donner le ton pour tous les mariages à venir dans les dix prochaines années.
Après eux, ce fut au tour de Savinien et Roxan de convoler en justes noces, bien plus sobrement mais avec non moins de sincérité. Avec leurs noces, Roxan devint prince consort de Bergemont, et la couronne d'héritière de Rosemont revint à sa jeune sœur, Magdelaine. On était alors en plein été, et plutôt que de retourner en Houdancœur, Cédric et Solen voyagèrent vers les royaumes unifiés d'Ernemont et Beaumont, afin d'assister au mariage de Stratège — dont Solen était le témoin — et Innocent.
Ce fut à cette occasion que Cédric eut pour la première fois depuis cinq ans de vraies nouvelles de Rivecœur. Jusque-là, les seules choses qu'il en savait se résumaient à des frontières fermées, un commerce avec l'extérieur réduit au strict minimum, et la recherche toujours active de Caspian, mais Auguste avait voyagé dans cette direction en partant rendre visite aux reines de Camayenne, et ses informations avaient l'avantage d'être fraîches en plus d'être de première main.
— J'ai beaucoup de choses à t'en dire, indiqua le prince d'Armancœur après l'avoir salué. Si tu as un instant à m'accorder...
S'ils avaient été chez lui, Cédric aurait pu le convier dans le petit salon qu'il partageait avec Solen, mais au palais de Stratège et Innocent, il ne savait pas où se rendre pour entendre ce qu'Auguste avait à lui dire. Toutefois, avant qu'il s'en inquiète, Solen précéda comme toujours sa demande et alla trouver son cousin. Même à quelques jours de ses noces, Stratège leur accorda son attention autant que son amitié et Solen revint avec la clef de son bureau.
— Vous y serez tranquilles, assura-t-il. Venez me voir quand vous aurez terminé, je rendrai la clef à Stratège.
Cédric le remercia d'un baiser reconnaissant, et Solen les laissa pour revenir un instant plus tard, porteur d'un plateau de rafraîchissements envoyé par Innocent. Il déposa le tout sur le bureau, embrassa Cédric sur le front, et les laissa seuls tous les deux avec un pichet de bière luisant de condensation et deux grands verres.
— J'ai l'impression que les nouvelles seront plus facile à avaler en les faisant passer avec de l'alcool, soupira Cédric.
Auguste ne démentit pas, ce qui était assez peu rassurant, mais se contenta de les servir tous les deux avant de commencer son compte-rendu.
— J'ai posé quelques questions à la frontière, raconta-t-il. Le grand mur commandé par la reine semble infranchissable, hormis aux points de péage. La somme demandée aux étrangers est exorbitante, sans doute pour limiter les passages tant que faire se peut sans tout à fait les interdire. Et les convois sont fouillés, sans que les soldats ne précisent ce qu'ils cherchent. Comme j'étais seul, je n'ai pas été ennuyé, toutefois on m'a interrogé avec un tout petit peu trop d'insistance. Les questions semblent toujours les mêmes, est-ce que l'on a vu récemment quelqu'un qui ressemble à l'un des deux princes, est-ce que l'on sait ce quelque chose à leur sujet... Mais en tant que prince d'Armancœur, on m'a aussi demandé si je t'avais vu récemment et si je savais ce que tu manigançais. L'impression que cela m'a donnée est qu'après tout ce temps à être cherché comme fugitif sans que quiconque en sache la raison, Caspian est considéré comme un dangereux criminel. Quant à toi, tu es vu comme une sorte de traître à ta patrie, j'imagine, exilé pour quelque chose de si grave que l'on n'ose pas en parler et désormais lié aux intérêts d'un autre royaume, puisque tu es fiancé au prince d'Houdancœur et que les rumeurs prétendent que les souverains ont offert de t'adopter.
C'était à peu près aussi terrible que ce qu'avait craint Cédric et il se passa une main dans les cheveux pour essayer de reprendre contenance.
— Je vois... dit-il faiblement.
— Je n'ai pas insisté, reprit Auguste. Je me suis bien gardé de dire que je te connaissais bien et j'ai passé mon chemin. Toutefois, il me semble qu'à part ça, la situation n'est pas mauvaise pour les habitants. La ville frontalière où je me suis arrêté vibrait de vie, il y avait un grand marché sur la place, les commerces étaient ouverts et des enfants riaient dans la cour de l'école. Par curiosité, j'ai également posé quelques questions et... les gens se sont habitués aux contrôles frontaliers et à l'absence des princes. Tout le monde a une théorie là-dessus, sans que personne ne s'en préoccupe réellement parce que ça n'a pas d'impact majeur sur leur vie de tous les jours. Lorsque nous retrouverons ton frère, il sera probablement intéressé par la quantité de méfaits fictifs qu'on lui attribue, il est bien parti pour devenir un criminel plus célèbre encore que le terrible capitaine Barbe Bleue et le redoutable Zidore de la Forêt Océane réunis, sans même avoir eu à lever le petit doigt.
— Où qu'il soit, j'espère qu'il le sait et qu'il s'en amuse, grimaça Cédric avant de reprendre une longue gorgée de bière. Par le Ciel, cette maudite histoire ne finira donc jamais ? As-tu pu avoir des nouvelles de la reine ?
— Difficilement. Personne ne parle d'elle, à croire qu'elle a disparu tout comme vous. En creusant un peu, j'ai entendu quelques rumeurs, comme quoi le deuil lui avait fait perdre la raison, qu'une malédiction frappait la famille royale, ce genre d'histoire... Mais tout le monde changeait très vite de sujet et je n'ai pas insisté davantage pour éviter d'attirer les soupçons.
Cédric ne répondit pas tout de suite après ça, préférant prendre le temps de digérer le tout. Auguste ne le pressa pas et se contenta de boire tranquillement sa bière, attendant qu'il prenne la parole.
— Merci, souffla enfin Cédric. D'avoir mené l'enquête et posé des questions pour moi.
— C'est la moindre des choses, répondit doucement Auguste. Je ne peux qu'imaginer combien tout cela doit être difficile pour toi, alors si je peux t'aider d'une quelconque manière...
— Tu en as déjà fait beaucoup. Je crois... je crois que pour le moment, il n'y a rien d'autre à faire que de laisser les choses suivre leur cours, comme dirait la Fée des Lilas. Oublions Rivecœur et la folie de sa reine, après tout nous sommes ici pour faire la fête, pas vrai ?
Plus que les noces de Stratège et Innocent, les deux royaumes d'Ernemont et Beaumont célébraient la paix renouvelée et leur unification sous une même bannière, ce qui était une raison sacrément valable de faire la fête. Auguste parut comprendre qu'il n'ait pas envie de s'attarder sur les mauvaises nouvelles qu'il venait d'apporter, et Cédric lui fut reconnaissant de ne pas insister.
— Nous sommes définitivement là pour faire la fête, approuva le prince d'Armancœur. Boire, danser et manger !
L'éclat de gourmandise dans le bleu de ses yeux tira un ricanement à Cédric et c'est en riant qu'ils finirent leur bière avant de quitter le bureau de Stratège pour retrouver leurs compagnons et se mêler aux festivités liées au mariage à venir.
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La Fée Marraine (tomes 1 & 2)
RomanceIl était une fois, entre les royaumes d'Armancœur, Rivecœur et Houdancœur, la Fée des Lilas que le hasard avait dotée de nombreux filleuls. À vouloir faire le bien, il arrive que des maladresses se produisent, et tous les dons ne sont pas toujours p...