🌻09. Une question de diplomatie

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SOLEN

Deux bons mois s'écoulèrent paisiblement en Houdancœur avant que l'on ait à nouveau des nouvelles de Rivecœur. Les deux princes avaient trouvé leur équilibre et l'on ne les voyait pratiquement plus l'un sans l'autre, pour le plus grand plaisir des souverains (et d'une bonne partie des ministres et des conseillers royaux). Solen commençait à prendre un réel plaisir à remplir ses obligations, confiant dans le fait qu'il ne risquait plus de faire une bévue avec Cédric pour l'épauler, et avait parfois l'impression diffuse que son esprit ne s'éparpillait plus autant qu'avant, sans savoir si c'était grâce à son ami, ou bien l'amorce du don de leur marraine.

Aussi, lorsqu'un messager aux couleurs de Rivecœur se présenta au palais, Solen s'en inquiéta terriblement, craignant qu'il n'apporte de mauvaises nouvelles à Cédric. En vérité, il s'avéra que le messager annonçait simplement l'arrivée d'une ambassade, pour renouveler la paix entre leurs royaumes et convier le prince à s'en retourner chez lui. De Caspian, il n'était pas fait mention. Cette annonce parut terrifier Cédric, dont le visage perdit toute couleur alors que ses mains commençaient à trembler. Aussitôt, Solen se rapprocha pour le soutenir, comme il le faisait chaque fois que possible, lui prêtant son épaule pour appuyer la sienne.

— J'ai peur, confia tout bas Cédric. J'ai peur que la reine n'ait pas retrouvé Cas, et qu'elle essaie de m'utiliser pour le faire revenir. J'ai peur de ce qui pourrait arriver si je retourne là-bas. Je ne veux pas y retourner, Solen. Je ne peux pas !

Sa voix était rauque et vacillante, affolant Solen qui enroula ses bras autour de lui dans l'espoir de le réconforter ou le rassurer. Pressant son front contre sa tempe, il chercha désespérément un moyen de l'aider, et finit par proposer la solution en laquelle il avait le plus confiance.

— Va trouver mes parents pour leur en parler. Ils trouveront forcément un moyen de te garder ici et d'empêcher Rivecœur de t'emmener de force. Et s'il le faut, moi je suis prêt à t'épouser dès aujourd'hui, pour faire de toi un prince d'Houdancœur.

Il était parfaitement sincère et sérieux, tant dans sa confiance en ses parents que dans sa proposition, et il sentit Cédric comme fondre dans ses bras, acceptant de s'appuyer un peu plus sur lui.

— J'ignore pour quelle raison notre marraine a décidé de nous rapprocher l'un de l'autre, murmura celui-ci, mais je lui en suis tellement reconnaissant... Tu es le plus adorable des princes, Solen. Je suis heureux et fier de t'avoir avec moi.

— Je le suis aussi, souffla Solen en osant déposer un baiser sur sa tempe. À présent, viens. Allons voir mes parents pour trouver une solution.

Parce qu'il répugnait à lâcher Cédric, il hésita un bref instant avant de choisir de lui tendre son coude, même s'il avait davantage envie de lui tenir la main. Toutefois, il n'était pas certain que son ami accepte une telle intimité, et puis son coude lui offrirait une meilleure stabilité pour marcher.

Ils trouvèrent ses parents dans la salle du conseil, discutant encore avec quelques conseillers après la séance du jour, et Solen fut à nouveau incroyablement reconnaissant de les voir couper court à la conversation pour venir les trouver.

— Nous avons été prévenus de l'arrivée d'un messager rivecourtois, déclara sa mère. Que voulait-il ? Est-ce que vous allez bien, Cédric ?

— Pas tellement, avoua ce dernier. Je... je pense qu'il serait judicieux que je vous mette au courant de ce qui se passe en Rivecœur, afin que vous sachiez exactement de quoi il retourne. Ainsi, vous pourrez juger au mieux de la situation.

D'un geste, le roi lui fit signe de s'asseoir et Solen suivit le mouvement, tant pour le soutenir physiquement que moralement. Une fois tout le monde installé autour de la grande table du conseil, Cédric eut un geste qui toucha profondément Solen : il glissa sa main sur sa cuisse, sous la table, pour s'agripper à la sienne, y puisant de la force pour raconter son histoire. Lorsqu'il se tut, un lourd silence plana sur la pièce, tandis que les souverains prenaient le temps de réfléchir. Cependant, Solen ne doutait pas un seul instant qu'ils trouveraient un moyen de protéger Cédric, quel qu'il soit.

— Ces dernières semaines, vous vous êtes merveilleusement intégré à notre famille, finit par dire sa mère. Je déplore que les choses se soient aussi terriblement dégradées dans la vôtre, mais je vous fais la promesse que nous ne vous laisserons pas seul dans cette épreuve. Solen vous a accordé sa protection, le jour de votre arrivée, et cela compte déjà pour quelque chose car cela vous place en réalité sous protection royale. De plus, nous sommes tout à fait prêts à risquer l'incident diplomatique, au même titre que votre reine, pour vous protéger.

— Qu'elle essaie un peu de venir vous chercher de force, pour voir, ajouta son père en grommelant d'un air mauvais. Rira bien qui rira le dernier. Vous êtes en sécurité ici, mon garçon, ne vous tourmentez pas. Il n'est pas arrivé, le jour où nous laisserons une souveraine déraisonnable faire la loi dans notre royaume.

— Il nous est tout à fait possible de refuser à l'ambassade le droit de traverser nos frontières, reprit la reine. Toutefois, je pense qu'il serait judicieux de la laisser venir à nous, ne serait-ce que pour lui affirmer en termes très clairs que vous ne repartirez pas en Rivecœur avant de le désirer réellement. Et qu'à la prochaine tentative d'intimidation, c'en sera fini de la diplomatie et de la politesse.

C'était dans des moments comme celui-là que Solen se souvenait du fait que leur royaume disposait d'une armée, parfaitement entraînée et plutôt bien fournie. Même s'ils étaient en paix avec tous leurs voisins, il était toujours important de rester paré au pire. Les soldats avaient de nombreux autres rôles que la guerre, et de toute manière personne ne savait jamais quand est-ce qu'une situation pouvait dégénérer, comme c'était récemment arrivé entre Beaumont et Ernemont. D'après les lettres de son cousin Stratège, Solen avait appris que la guerre avait été déclarée suite à une ambassade désastreuse, et qu'elle n'avait finalement été évitée de justesse que grâce au prince de Beaumont qui s'était porté garant de la paix avec un courage que Stratège louait grandement. Avec tout ça, Solen ne pouvait s'empêcher de se demander si Rivecœur irait jusqu'à leur déclarer la guerre et, si oui, que se passerait-il alors.

— Je vous remercie de tout cela, répondit doucement Cédric en s'accrochant davantage à sa main. Toutefois, si d'aventure la situation venait à dégénérer terriblement, je vous implore de garder à l'esprit que Rivecœur n'a plus la chance d'être dirigée par une souveraine sensée. Même à l'étranger, je reste le prince de ce royaume, et c'est à moi de veiller au bien-être des rivecourtois que plus personne n'est à même de protéger.

— Et cela vous honore, assura le roi. Soyez sans crainte, toute sanction ou action que nous pourrions prendre ne viserait que la reine, et en aucun cas votre peuple. En dépit de toute l'affection que nous vous portons, nous ne mettrions pas deux royaumes à feu et à sang pour protéger une seule personne. Toutefois, la diplomatie est un vaste domaine, dans lequel nous pouvons prendre quelques libertés pour veiller à ce que la reine de Rivecœur comprenne bien que vous êtes désormais tout autant hors de sa portée que votre frère.

— Cette situation ne durera pas éternellement, ajouta doucement la reine. Un jour viendra où vous pourrez retourner en Rivecœur la tête haute pour reprendre votre place de prince héritier auprès de votre frère, et ce jour-là vous serez un excellent prince, et certainement un excellent souverain. Nous allons veiller à ce que vous ayez, aux côtés de Solen, tous les enseignements nécessaires à vous permettre de devenir un roi dont le peuple sera fier.

— Et ce jour-là, compléta Solen avec une pointe de timidité, quand tu retourneras en Rivecœur, je te promets que je serai aussi à tes côtés.

Face au regard que Cédric lui coula, il se sentit rosir et serra ses doigts un peu plus fort entre les siens, tout en se demandant si le jour où ils se rendraient en Rivecœur, ils seraient mariés. Comme Cédric et Caspian étaient jumeaux, il n'avait aucune idée duquel était censé monter sur le trône, mais il espérait tout de même, tout au fond de lui, que c'était Caspian, parce que la perspective de devenir roi d'Houdancœur l'effrayait beaucoup moins si Cédric était à ses côtés.

— Allons, finit par déclarer sa mère, je vais faire appeler le messager pour lui indiquer que nous recevrons l'ambassade. En attendant son arrivée, nous aurons le temps de préparer le discours que nous lui ferons. Ne vous tracassez pas, Cédric. Tout ira bien.

Et, de fait, tout se passa effectivement plutôt bien. Le messager fut prévenu, l'ambassade eut lieu, et les souverains d'Houdancœur réussirent à faire comprendre, fermement mais poliment, à l'ambassadeur que si Rivecœur envoyait une nouvelle fois quelqu'un auprès du prince Cédric, il ne serait plus question de diplomatie ou de politesse. Après cela, Solen eut l'impression confuse que son ami se sentait plus léger, et en même temps un peu perdu, alors il résolut de faire son possible pour que plus jamais Cédric ne se sente à la dérive et loin de chez lui.

La Fée Marraine (tomes 1 & 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant