CÉDRIC
Cédric sut qu'il s'était surestimé lorsque vint le moment de mettre pied à terre dans la cour du château de Quesnoy. Ils avaient hâté l'allure en apercevant le toit pointu des tours élancées, et ils avaient pratiquement fait la course sur les derniers mètres, pour s'arrêter côte à côte en riant. Solen avait été le premier à démonter, en s'emmêlant un peu les pinceaux, et lorsque Cédric voulut l'imiter, il se rendit compte que sa jambe droite était tout engourdie et qu'il n'en sentait plus le pied. Résigné, il comprit que la descente ne serait pas gracieuse et serait probablement douloureuse, mais il n'allait pas non plus passer le reste de la journée perché sur ce pauvre cheval.
— Oh non ! se lamenta Solen tout près. Nous avons chevauché trop longtemps, sans égard pour ta jambe ! Je suis désolé Cédric... Tiens, appuie-toi sur mon épaule, je vais t'aider à descendre.
Parce qu'il n'avait d'autre choix, avec sa jambe pratiquement inerte, Cédric essaya de faire bonne figure tout en prenant appui sur son ami. Encore une fois, il fut surpris par la force de Solen qui ne flancha pas sous son poids et resta fermement immobile, soutien infiniment précieux pour lui permettre de mettre pied à terre. Et même là, il ne le lâcha pas tout de suite, lui offrant encore son appui en attendant que sa jambe accepte de le soutenir.
— Est-ce que ça va ? s'enquit-il encore. C'est engourdi, ou douloureux ?
— Les deux, grommela Cédric en essayant de bouger son pied. J'aurais dû demander à l'amputer pour la remplacer par une jambe de bois, au moins comme cela je pourrais la retirer à ma guise.
— Avec un perroquet sur l'épaule, tu ferais un formidable pirate, sourit Solen. Un redoutable capitaine, craint dans tous les océans, capable d'utiliser sa jambe comme une arme dans les combats les plus terribles.
Et juste comme ça, il allégea toute la situation et Cédric retrouva son sourire tout en puisant force et courage dans la solidité de son soutien. Il était incapable de dire s'il s'était surestimé parce qu'il n'avait pas eu la moindre idée de la difficulté de la route, parce qu'il s'était pensé parfaitement capable de faire quatre heures de chemin paisible au pas, ou bien parce qu'il lui semblait qu'il allait de mieux en mieux depuis quelques temps. Chaque fois qu'il s'étonnait de ne pas être handicapé par sa jambe, il ne pouvait s'empêcher de repenser aux mots de leur fée marraine, et son cœur s'affolait à l'idée que Solen puisse être lui aussi en train de tomber amoureux. Ou bien c'était seulement dû à ses bons soins et à sa gentillesse inépuisable, mais Cédric espérait quand même qu'il s'agissait réellement du don de leur marraine, parce qu'il se savait déjà complètement épris de son prince si solaire.
Ces derniers mois, il s'était peu à peu fait une raison en comprenant qu'il était bien parti pour vivre le reste de sa vie en Houdancœur ou du moins les prochaines années, en attendant des nouvelles de son frère ou bien un hypothétique retour à la raison de leur mère. Et même s'il s'inquiéterait toujours pour Caspian, il ne pouvait s'empêcher d'être reconnaissant au sort, au ciel ou à la fée qui l'avait mené auprès de Solen, dans une famille aussi aimante que la sienne, là où il se sentait plus à sa place que nulle part ailleurs.
Appuyé contre son ami, il prit une profonde inspiration pour se donner la force de se redresser, et transféra doucement son poids sur sa jambe tordue, soulagé de constater qu'elle le soutenait. Douloureusement, certes, mais elle tenait le coup.
— Vous voilà déjà ! s'exclama une voix familière sur le côté. Nous n'étions pas certains de vous voir arriver avant le souper.
Maladroitement, toujours soutenu par Solen, Cédric se tourna pour regarder approcher la duchesse Charlotte du Quesnoy-Brazicœur, ancienne reine d'Houdancœur, mère de l'actuelle souveraine, et maîtresse des lieux. Elle était aussi resplendissante que la première fois qu'il l'avait vue, bien que vêtue beaucoup plus simplement, et son sourire encadré de fossettes, identique à celui de sa fille et de son petit-fils, la faisait paraître bien plus jeune.
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La Fée Marraine (tomes 1 & 2)
RomanceIl était une fois, entre les royaumes d'Armancœur, Rivecœur et Houdancœur, la Fée des Lilas que le hasard avait dotée de nombreux filleuls. À vouloir faire le bien, il arrive que des maladresses se produisent, et tous les dons ne sont pas toujours p...