🧵28. Des souliers de verre

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CENDRILLON

Malgré tous ses efforts, Cen ne parvint à terminer les costumes de Javotte et Anastase que le matin même du bal, en ayant sacrifié pratiquement toutes ses heures de sommeil. Il se sentait usé et peinait à voir net, mais il avait encore beaucoup de travail devant lui avant d'espérer se reposer un peu pour la soirée. Comme pour le bal précédent, il passa la journée entière à habiller Javotte et Anastase, parce qu'il fallait lacer les habits, ajuster les dernières coutures, refaire un point ici ou là, et ensuite s'occuper de leurs coiffures et de leurs masques.

La seule occasion qu'il eut de souffler un peu fut en début d'après-midi, lorsque Madame convoqua ses enfants pour leur faire un discours au sujet des riches partis présents au bal et de leurs chances d'en séduire un pour réaliser un beau mariage. Cen savait qu'elle allait les garder occupés pendant au moins une bonne heure, à leur répéter comment sourire et se montrer sous leur meilleur jour afin de sécuriser une alliance, dans l'idéal avec l'un des princes, sinon au moins avec un comte, un duc ou un marquis. Cela laissait à Cen le temps de remonter dans sa chambre pour dormir quelques instants, histoire d'être assez reposé pour profiter du bal. Avec un gémissement de bonheur, il se laissa tomber sur son lit, la tête dans l'oreiller, et n'eut plus conscience de rien jusqu'à entendre sonner la cloche des domestiques dans toute la maison.

Sonné et embrouillé, il s'assit en se frottant les yeux, se sentant encore plus fatigué qu'avant sa sieste. D'après la couleur du ciel, il avait dû dormir une heure environ et c'était suffisant pour que toute sa famille commence à s'agiter comme une volée de poulets sans tête. Le cœur encore battant de ce réveil en sursaut, il se hâta de renfiler ses chaussures et de passer sa veste avant de se peigner avec les doigts tout en descendant l'escalier quatre à quatre. Il entendait Javotte et Anastase crier son nom depuis le rez-de-chaussée, avec un agacement croissant.

— Cendrillon ! CENDRILLON ! CEN-DRI-LLON !!

Sautant les dernières marches, il se précipita dans le salon et fut accueilli par trois regards noirs, exprimant un profond mépris de la part d'Anastase, une colère froide de la part de Madame, et de l'agacement pour Javotte, comme s'il faisait exprès de mettre du temps à répondre.

— Encore à paresser ? reprocha Madame. Qu'est-ce que tu attends pour aller préparer la voiture ?

Tête basse, Cen fila directement aux écuries pour s'occuper de l'attelage, bien content d'avoir planifié sa soirée avec plus de soin que la dernière fois. Au lieu de garder sa belle tenue dans sa chambre et de risquer que sa marâtre ne l'abîme volontairement, il l'avait dissimulée dans le carrosse, sous la vieille couverture cirée rangée sous son banc. Ainsi, il n'aurait qu'à se changer une fois arrivé au palais, et sa belle-famille n'y verrait que du feu.

Il fit cependant bien attention à ne pas paraître trop sûr de lui ou trop enthousiaste alors qu'il amenait la voiture devant le manoir pour aider Javotte et Anastase à y monter. Ce n'est qu'une fois sur la route, hors de vue de sa marâtre, qu'il se laissa aller à sourire et à fredonner doucement, impatient de retrouver ses amis et son prince. Bien évidemment, ils furent très vite pris dans l'épouvantable embouteillage des carrosse attendant leur tour, mais Cen en profita pour grappiller quelques minutes de sommeil supplémentaires, confiant dans son attelage.

Très vite cependant, il fut réveillé par Anastase frappant contre le toit de la voiture pour demander où en était leur progression, et il ne put finalement pas se rendormir puisque son demi-frère l'interpellait toutes les dix minutes environ, posant invariablement les mêmes questions.

— A-t-on avancé ? Où en sommes-nous ?

La réponse ne variait guère, puisqu'ils ne progressaient que d'un carrosse à la fois, et il leur fallut près de deux heures pour atteindre enfin la cour du palais. La grande horloge sonnait son vingtième coup lorsque Cen arrêta enfin les chevaux devant l'escalier et descendit ouvrir la portière. Immédiatement, Anastase bondit de la voiture comme un lutin hors d'une boîte, avant de tendre son bras à sa sœur pour l'aider à descendre. Sans laisser le temps à Cen d'ajuster leurs masques, ils s'empressèrent de grimper les marches, et Cen retint un soupir en remontant sur son banc pour libérer le passage et gagner la cour des attelages.

La Fée Marraine (tomes 1 & 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant