CASPIAN
Des coups rudes frappés à la porte de sa cabane firent sursauter Caspian, au point de lui faire lâcher son livre qu'il ne rattrapa que de justesse. Le cœur battant, il le reposa sur son lit en se demandant ce qu'on pouvait bien lui vouloir à cette heure-ci. Il avait rarement du travail au moment du déjeuner, et ce n'était jamais bon signe lorsque quelqu'un venait jusqu'à lui.
Inquiet mais également un peu curieux, il s'empressa d'attraper sa peau d'âne suspendue près de la porte et d'en rabattre la capuche sur son visage avant d'ouvrir. La déception qu'il éprouva en découvrant le métayer sur le seuil lui fit comprendre qu'il avait malgré tout espéré voir Maxime, et il s'empressa de baisser le regard pour ne pas s'attirer d'ennuis. Le métayer avait l'air aussi méprisant et dégoûté qu'à chaque fois qu'il devait lui parler, mais il y avait également une colère sous-jacente dont Caspian se méfiait comme de la peste. Ce ne serait pas la première fois qu'il ferait les frais d'une mauvaise humeur provoquée par quelqu'un d'autre.
— Tu as du travail, cracha le métayer. Leurs Altesses les princes Auguste et Maxime déjeunent à la ferme, et Son Altesse le prince Maxime a expressément demandé à ce que tu fasses une galette rivecourtoise pour leur dessert. Je me demande bien pourquoi toi en particulier mais bon, c'est le prince.
Apprendre que Maxime se trouvait si près de lui donna l'impression à Caspian que le sol s'ouvrait sous ses pieds et il se concentra sur sa respiration pour ne pas laisser voir son mélange de terreur et d'espoir.
— Eh bien, tu m'écoutes ? s'agaça le métayer. Tu as une heure pour la faire, pas une minute de plus, alors cesse donc de rêvasser ! Et lave toi bien les mains !
— Oui Monsieur, murmura Caspian.
Le regard rivé sur ses sabots, il l'écouta s'éloigner d'un pas rageur accompagné d'imprécations, et il se demanda distraitement ce que Maxime avait bien pu dire ou faire pour l'agacer de la sorte. Hébété, dans un état second, il rentra chez lui et s'adossa un instant à la porte pour prendre une profonde inspiration, puis une seconde, essayant de calmer les battements affolés de son cœur.
— Une galette rivecourtoise pour Maxime, répéta-t-il. Aucun doute, il sait que je suis Peau d'Âne.
Et une petite voix lui murmurait que son prince avait également deviné qu'il était Caspian de Rivecœur, mais il ne voulait pas l'écouter. Pas tout de suite. Après dix ans à se cacher et à endurer la misère, il ne voulait pas se laisser aller à espérer pour que tout se brise ensuite.
Alors au lieu de laisser la panique l'envahir, il se concentra sur la tâche qu'on lui avait donnée. Les mains tremblantes, il retira sa peau d'âne puis réfléchit un instant avant de décider d'enfiler la veste dorée de son costume couleur de soleil afin d'éviter que ses manches ne l'encombrent. Ce fut vite fait et il s'occupa ensuite d'attacher ses longues nattes sinjahlaises avec un bandeau pour dégager son visage, avant de se débarbouiller pour le principe. Ensuite seulement, il rassembla tout son matériel et prit le temps de se laver soigneusement les mains.
Puis il se mit à l'ouvrage, raviva le feu sous le four, et mélangea quatre mains de sa farine la plus blanche avec deux œufs du matin et du beurre bien frais. Il y ajouta ensuite du miel, ainsi qu'un soupçon de sel. Pétrir la pâte demandait un peu d'effort mais il aimait faire ça et il s'y attela avec entrain pour former une belle boule de pâte qu'il lui faudrait ensuite étaler avec un rouleau.
Parce qu'il était préoccupé et qu'il ne cessait de se demander ce qui allait se passer une fois que la galette arriverait à Maxime et Auguste, il ne remarqua pas que sa bague lui avait glissé du doigt. C'était un anneau d'or fin, orné d'une perle taillée en forme de lune, que Cédric lui avait offert pour son quinzième anniversaire. Depuis le temps, il ne pouvait plus la porter qu'au petit doigt, mais il y tenait énormément et la portait toujours lorsqu'il n'avait plus d'ouvrage à faire, parce qu'elle avait tendance à glisser sur ses doigts trop fins. Il avait oublié de la retirer quand il s'était mis à cuisiner, et le beurre n'avait fait qu'aggraver les choses.
De plus en plus fébrile, il étala sa pâte, sur une trop grande épaisseur pour que la bague puisse se voir, et il mit la galette au four. Il n'y avait pas long de cuisson, mais Caspian était incapable de dire s'il en était heureux ou non. Sitôt que la pâte fut toute dorée et bien cuite, il sortit la galette pour l'envelopper dans un torchon propre et la déposer sur la table, le temps de retirer sa veste et de passer sa peau d'âne à la place. Puis il quitta sa cabane sans savoir s'il voulait avoir à porter la galette jusqu'aux princes ou s'arrêter avant. Il n'avait pas vraiment envie que Maxime le voie dans cet état, vêtu et traité comme un souillon, mais d'un autre côté il brûlait de revoir son prince, ne serait-ce que pour l'entendre rire encore une fois.
Au final, il s'avéra qu'il s'inquiétait pour rien puisque le métayer vint à sa rencontre bien avant qu'il n'atteigne les premiers bâtiments de la ferme.
— Tu en as mis du temps, fainéant ! gronda l'homme. Leurs Altesses commencent à s'impatienter ! Allez, donne-moi ça et va-t-en de là !
Il cracha par terre pour ponctuer sa phrase puis tendit impérieusement les mains pour que Caspian lui remette la galette. Sans même le remercier, le métayer lui adressa un dernier regard de dégoût puis se détourna pour emporter la galette comme s'il s'était agi de la couronne royale. Avec un soupir, Caspian secoua la tête et hésita un bref instant à le suivre pour au moins apercevoir Maxime, avant de décider que cela n'en valait pas la peine. Il avait un excellent livre qui l'attendait chez lui, et il ne tenait pas à se faire plus de mal que nécessaire. Alors il rebroussa chemin et retourna dans sa cabane pour reprendre sa lecture en essayant de ne pas tendre l'oreille pour entendre une éventuelle approche sur le chemin.
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La Fée Marraine (tomes 1 & 2)
RomansaIl était une fois, entre les royaumes d'Armancœur, Rivecœur et Houdancœur, la Fée des Lilas que le hasard avait dotée de nombreux filleuls. À vouloir faire le bien, il arrive que des maladresses se produisent, et tous les dons ne sont pas toujours p...