5.
31 décembre 2020. 3 semaines plus tôt.
Gersande tente de se calmer sur le quai de métro désert de la ligne 6 à l'arrêt Passy. Elle est partie au milieu d'une dispute avec sa mère. Une dispute dans la cuisine, parce qu'il ne faut surtout pas se montrer en spectacle devant les invités. Le métro de 23h57 entre en station avec fracas. L'air poussé par la rame presque vide soulève ses cheveux.
Gersande ouvre les portes et monte. Bientôt les gens s'embrasseront sous le gui. Sa mère ne pensera même plus à elle. Elle, Gersande, sera ailleurs.
Le vernis de ses ongles est rose foncé, seule excentricité que sa mère lui a autorisée pour la soirée. Elle ne touche pas la barre du métro. Réminiscence de la maniaquerie de qui ? Sa mère. Son jean moulant dévoile des jambes interminables. Elle appuie sur play et la musique se lance, Uptown Funk ft. Bruno Mars de Mark Ronson. Elle qui ne pouvait s'empêcher de faire quelques pas sur ce morceau, reste immobile. Elle sent la présence de quatre garçons et évite leur regard.
Le genre de racailles que l'on voit à la télévision ou juste quatre garçons assis dans une rame de métro. Quatre garçons, ça ne devrait pas être inquiétant, mais ça l'est.
L'un d'eux, un gitan à la peau basanée, le visage buriné encore enfantin, porte une veste noire capitonnée à capuche. Il a les cheveux rasés sur les côtés, teints en blond au-dessus et plaqués en arrière. Il tend à son camarade assis face à lui une bouteille de vodka. Il fixe Gersande.
Elle se revoit descendre de chez elle en colère, choisir entre la ligne 9 et la 6 et visualise le moment où elle se dirige vers la 6.
On lui aurait payé un taxi, on aurait tout fait pour la protéger. Mais elle est partie précipitamment. Les quatre jeunes hommes ont une vingtaine d'années à peine, peut-être moins. Il y a deux garçons noirs. Elle n'osera pas le préciser plus tard de peur de passer pour raciste. Le plus grand se retourne une, deux, trois fois, elle le voit du coin de l'œil. Le train est toujours à l'arrêt, elle pourrait encore ouvrir les portes et partir.
Elle est retenue par une crainte un peu idiote de les mettre en colère. Ils la rattraperaient et la violenteraient sur le quai ou les escaliers de sortie.
Les quatre garçons échangent entre eux. Il suffirait à Gersande de sortir, juste sortir.
Une sonnerie prévient de la fermeture imminente suivie du verrouillage des portes. Gersande retient son souffle. Les portes se ferment sur elle. C'est trop tard.
- Eh, tu peux répondre quand on te parle !
La rame est lancée le temps de la traversée de la Seine sur le pont Bir-Hakeim. Gersande ne dit rien, elle coupe le son du casque comme le lui a conseillé le sénateur. Il lui avait interdit d'écouter de la musique seule dans Paris le soir, la musique couvre les bruits du monde réel comme ceux des pas d'un homme. Le train prend de la vitesse.
- Elle augmente le son cette connasse, croit-elle entendre dire. Une fenêtre est ouverte malgré le froid et le passage du métro sur les rails est bruyant. Ils parlent et il lui semble que l'un d'eux retient les autres. Ça ne la rassure pas.
Elle est secouée par les soubresauts du train, s'accroche à la barre en passant le bras autour d'elle sans la toucher de la main. Le gitan se lève. Il a un jean noir artificiellement troué. Les secousses de la rame le poussent à se rassoir et les autres rigolent.
Le train est à la moitié du pont. Il commence à ralentir. Le garçon se lève à nouveau et le train s'arrête.
Des éclairs de couleur illuminent l'intérieur du wagon. Du rouge et du doré descendent comme une pluie sur les vitres, les sièges et les mecs. Des papillons de couleur bruissent, apparaissent et disparaissent sur leurs vêtements et leur peau, sur leurs visages et leurs sourires. Les gars poussent des cris. L'un des garçons lève les bras.
- Bonne année !
VOUS LISEZ
Avenue Mercedes
Mystery / ThrillerGersande Hellker, 17 ans, disparait en pleine nuit dans un des quartiers les plus huppés de Paris. Le principal suspect est un jeune auteur célébré pour deux romans d'amour où chacune des femmes de sa vie se reconnait. A-t-il supprimé sa nouvelle...