75.
MATTEO RAPHAELLI
2009. Cestas.
J'ai retrouvé les clefs de la voiture sur le fauteuil passager. Je me suis précipité au volant et fis une marche arrière en cherchant à voir à travers les tags. Le vélo du gamin laissé sur le gazon était couché comme un animal mort. Sur la route je manœuvrai pour me lancer à la poursuite de Manon.
Je repassai par l'ancien barrage des petits cons payés par l'hôte. Je commençai à me demander ce que j'allais pouvoir dire à Victor. J'imaginais qu'elle avait pris un chemin de traverse. Elle n'habitait qu'à un kilomètre à vol d'oiseau. Techniquement elle aurait pu rentrer seule. Mais en pleine nuit, soûle, habillée comme elle l'était...
Les phares l'éclairèrent soudain sur le bord de la route, marchant aussi vite qu'elle le pouvait.
J'ai ralenti à son niveau, je me suis penché sur le côté passager, ai ouvert la fenêtre.
- Manon, je te raccompagne !
Elle n'a pas ralenti l'allure. Je n'avais pas envie de négocier. J'ai accéléré un peu et j'ai engagé l'avant de la voiture sur le bas-côté de la route pour lui bloquer le passage. Je suis sorti.
- Qu'est-ce que tu vas faire ? Me forcer à monter ?
- S'il-te-plaît. Manon. Monte.
A ma surprise, elle obtempéra. Elle s'installa côté passager et resta immobile les bras croisés. Je fis à nouveau le tour de la voiture. Je me rassis. Ma main chassa dans le vide derrière le volant. Les clefs n'y étaient plus.
- Manon.
Je pris une inspiration, pour me calmer.
- Rends-moi les clefs.
- Embrasse-moi si tu les veux.
Mes lèvres étaient irritées et encore chaudes de Dunia. Je poussai un cri en frappant le tableau de bord. Elle sursauta.
Elle plongea sa main sous sa cuisse et me tendit les clefs. Je restais un moment sans rien dire. Puis j'enclenchai le moteur, marche arrière.
- Et la rebeu c'est qui ?
Première. Demi-tour.
- Tu ne mérites pas mon frère.
- C'est pas lui qui m'intéresse.
Point mort. Je m'arrête.
- Rompt avec lui. Oublie cette soirée et que je ne te revoie plus et surtout qu'il ne te revoie plus jamais.
- C'est qui la salope de tout à l'heure ?
Le coup est parti sans que je ne puisse le retenir. Elle s'est mise à saigner de la lèvre.
- Tu t'es regardée ? Dans un an t'arrête les études, dans trois t'es enceinte et tu bosses aux caisses d'un putain de supermarché.
J'avais oublié que je parlais à une gosse de quatorze, ou quinze ans. Elle mit quelques secondes à encaisser.
- T'es un monstre.
Elle ouvrit la portière.
- Ferme ça Manon. – Elle pleure. – Manon.
- T'avais raison, je peux rentrer à pieds.
- C'est ça, rentre à pieds. Bonne chance, allez, bouge, dégage !
J'étais hors de moi. Je la poussai pour la faire sortir. Une gamine qui disparaît dans le noir de la forêt. C'est la dernière image que j'ai d'elle.
Je regardais droit devant moi, dans la boucle d'un D écrit en gros sur le pare-brise. Dans mon souvenir, je suis resté peu de temps comme ça. La police a tenu à savoir combien de temps précisément, je ne pouvais pas le leur dire.
Je suis sorti de la voiture.
Il s'est mis à pleuvoir. La lune n'était plus visible.
- Manon !
J'ai couru sur quelques mètres.
- Manon ! Manon !
Je suis retourné à la voiture pour aller directement chez elle. La pluie et les tags sur le pare-brise rendaient la visibilité presque nulle. Les balais d'essuie-glaces raclaient sur la vitre et grinçaient. Deux minutes plus tard je me trouvai devant le portail de ses parents.
La lumière de la cuisine s'est allumée, j'ai paniqué et je suis reparti en faisant déraper les pneus. Dans le rétroviseur j'ai cru voir la silhouette de sa mère. Les pavillons du quartier étaient bien moins grands que ceux du quartier de la soirée. J'ai roulé aussi vite que j'ai pu. Je suis revenu à l'endroit où je l'avais laissée partir. Je suis sorti de la voiture et j'ai hurlé.
- Manon !
Pourquoi le moteur de la voiture tournait toujours ? m'ont interrogé les flics. Comme si j'étais parti avec précipitation derrière elle, pour la rattraper dans la forêt et la tuer.
On alluma des lumières dans deux maisons derrière moi. Un homme est sorti de l'une d'elles.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? cria-t-il depuis son portail. La pluie nous dégoulinait sur le visage et sa robe de chambre s'assombrissait à vue d'œil.
- J'ai perdu une copine. On s'est disputés et elle est partie dans le bois.
- Putain, gronda le gars. Suis-moi je connais les chemins.
Je me souviens parfaitement du bruit des branches qui craquaient sous nos pas. Je me souviens de celles qui griffaient mes bras en suivant l'homme en robe de chambre. On s'enfonçait dans la forêt.
- T'as un portable, petit ?
- Oui.
- Va falloir appeler la police je pense.
Je n'avais pas répondu dans l'espoir qu'on la retrouve recroquevillée contre un arbre en train de pleurer et trembler de froid.
On l'a bien retrouvée, en remontant le chemin. Elle était bien contre un arbre. Son mascara coulait sur ses joues rebondies d'adolescente. Mais elle ne tremblait pas.
L'homme vomit à mes côtés. Elle avait été étranglée et son corps était couvert de meurtrissures. Le sang coulait comme une aquarelle sur un ventre. Les flics m'ont demandé ce que j'avais fait du couteau.
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Avenue Mercedes
Mystery / ThrillerGersande Hellker, 17 ans, disparait en pleine nuit dans un des quartiers les plus huppés de Paris. Le principal suspect est un jeune auteur célébré pour deux romans d'amour où chacune des femmes de sa vie se reconnait. A-t-il supprimé sa nouvelle...