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MATTEO RAPHAELLI

Suite.

Deux heures plus tard, en legging de course noir, tennis rouge et ma veste à capuche bleue marine, je passe devant le restaurant Etche Ona encore fermé, je marche droit vers la librairie de la mère de Gersande et tourne à gauche, m'engageant sur la rue de l'Annonciation où tous les marchands ont ouvert leur stand.

Je prends une poche en papier kraft. J'achète des fruits, des légumes. La neige tombe lentement. Je repense à la veille, à l'Aurore, ma rencontre avec Danny qui réapparaît dans ma vie, à la vision de Gersande le visage ensanglanté courant vers moi, s'effondrant dans mes bras. Je serre contre moi la poche kraft et repasse devant le restaurant Etche Ona. Les lumières sont allumées. J'entre.

- C'est fermé, me prévient une voix d'homme.

- Bonjour, dis-je avant de le voir sortir de derrière le comptoir, votre collègue n'est pas là ?

L'homme d'une cinquantaine d'années, chemise blanche sous un pull en laine gris, me regarde interrogatif, voire inquiet.

- Namia ? Pourquoi ? Il y a un problème ?

Je souris.

- Absolument pas. Je souhaitais lui présenter mes excuses. Hier, je l'ai vue, et j'ai eu une absence, enfin elle m'a parlé, je ne lui ai pas répondu. Je crois être reparti sans avoir dit un mot. Je crains d'avoir été grossier.

Il semble un peu suspicieux.

- Je le lui dirai.

- A quelle heure arrive-t-elle ?

- Je le lui dirai, répète-t-il.

Le message est clair. Je ne me départis pas de mon sourire poli et timide. Il pense avec raison avoir l'ascendant. Je dois abandonner.

- Je vous remercie. Je vous souhaite une bonne journée.

- A vous aussi monsieur.

Je sors. Il ne m'accompagne pas. Il n'y a quasiment pas de circulation. Namia arrive, à pieds. Elle me reconnaît.

Mon cœur palpite fort, car dès que je lui adresserai la parole, j'atteindrai le point de non-retour. Je me savais foutu dès qu'un tiers serait mis au courant. Si elle me dénonçait, j'étais bon pour la prison même si Gersande réapparaissait volontairement. Namia me sourit.

- Vous allez mieux ?

J'affiche un visage avenant pour répondre à la bienséance. On nous sourit, il faut répondre par un sourire.

- Je vous dois une explication.

Elle se recoiffe et fait non de la tête.

- Vous avez récupéré la faculté de parole, ça me rassure.

Nous nous regardons un moment.

- Vous voulez un café, m'entendé-je dire.

- Pardon ?

Elle ne sait pas ce qui l'attend.

- Désolé, c'est une question. Voulez-vous prendre un café avec moi ?

Elle est amusée.

- Je ne peux pas. J'aurais aimé. A la fin de mon service avec plaisir mais mon patron ne voudra pas me voir m'asseoir et boire un café avec un client alors que je dois débuter mon service.

Avenue MercedesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant