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Lundi 1er mars 2021. 10h35. 3 avenue Mercedes, chez Matteo Raphaelli.

Près de la fenêtre qui donne sur l'avenue Mercedes, la flic imagine l'écrivain à cette même place en train d'observer Gersande de l'autre côté de l'avenue.

Matteo entre dans le salon, un café dans chaque main. Il tend le sien à Lola qui pose sa première question.

- Avez-vous des nouvelles de Gersande ?

- Non. D'après votre premier appel de ce matin elle aurait disparu ?

- Vous ne paraissez pas surpris.

- Je ne sais pas quoi vous dire.

- Est-ce que vous pourriez me parler d'elle ?

Matteo lui désigna le canapé face au feu et s'assit dans un fauteuil, nouvelle acquisition.

- Je n'ai pas du tout l'esprit de synthèse. Posez-moi des questions et j'y répondrai.

C'est le meilleur moyen pour lui de ne pas trop en dire. Lola sort son iPhone.

- Je peux enregistrer l'entretien ?

Matteo acquiesce et boit une gorgée de son café. Un moteur s'enclenche. Lola interroge Matteo du regard. Il répond :

- L'ascenseur.

Une fenêtre claque. Lola sursaute. Elle se fait la réflexion qu'elle doit se reprendre.

- J'ai laissé la fenêtre ouverte dans ma chambre, dit Matteo. Il attrape ses lunettes de vue posées sur la cheminée derrière lui. Ça change son visage. Lola saisit la tasse qu'elle a posée sur la table basse. Elle boit deux gorgées parce qu'une seule ne lui laisse pas assez de temps se calmer. Elle se sent oppressée, très mal à l'aise.

- Depuis combien de temps connaissez-vous Gersande Duffrey ?

- Qu'est-ce qui vous amène à moi ? demande l'écrivain très calmement.

- Une liste de faits. Vous lui avez sauvé la vie il y a deux mois. Elle a une chambre remplie des traductions de votre livre. On nous a rapporté que vous la fréquentiez. Depuis quand est-ce le cas ? Vous vouliez garder l'anonymat, comment a-t-elle su que c'était vous ? Êtes-vous allé vers elle ?

Matteo prend son temps et se rassoit.

- Non. Je l'ai rencontrée sur l'allée des Cygnes, il y a environ un mois. Une rencontre fortuite.

La fenêtre de sa chambre claque à nouveau. Ils l'ignorent. Lola tend une perche :

- Gersande est très belle.

Matteo sourit. Il se relève légèrement de son siège et retire un coussin de son dos, il attrape des bas de femme qu'il enroule autour d'une de ses mains. Mise en scène pense Lola je suis accompagné, arrête de me regarder comme si j'étais un pervers, voilà ce qu'il essaie de me faire comprendre.

- Et elle reviendra ce soir, dit Matteo en posant le bas à côté de son fauteuil.

- Votre conquête ou Gersande ? Ou les deux ? demande-t-elle un insinuant que Gersande est sa conquête.

Mais Matteo ne se départit pas de son sourire, profite du double sens de la question pour faire comme s'il ne comprend pas.

- La police pense à une fugue ?

- J'ai l'impression que vous pensez la même chose Monsieur. Danny Socko ? Ça vous dit quelque chose ?

Matteo intensifie son regard sur la jeune femme. Comment a-t-il fait ce truc ?

- Quelle est votre question ? demande-t-il.

- Je...

- En quoi Danny est lié à cette histoire ?

Il semble sincèrement surpris. Lola reprend :

- L'avez-vous reçu chez vous ? Ici ?

- Danny ?

- Non, Gersande.

- Oui.

- Êtes-vous allé chez elle ?

- Non.

- Jamais ?

- C'est ça.

- Pourquoi la voyiez-vous ?

Il prend à nouveau un temps.

- Avez-vous lu L'Amour de Margo ? Lieutenant ?

L'iPhone de Lola vibre. Elle l'ignore.

- Non.

- Gersande ressemble beaucoup à mon personnage. Ça a aiguisé ma curiosité. D'autant que la ressemblance n'était pas que physique.

- Pourquoi parlez-vous au passé ?

- Parce que nous nous sommes vus dans le passé.

Matteo se lève.

- Vous n'avez donc pas encore de piste Lieutenant ? Vous n'avez pas idée de comment est sa mère, quel genre de femme elle est ?

Lola le suit du regard.

- Vous parliez du trouble que vous ressentiez...

- Avez-vous lu La Maladie de l'Amour ?

Lola se redressa, mal à l'aise.

- Non plus. Je suis désolée.

- C'est moi qui suis désolé car vous ne comprendrez pas facilement du coup. J'aime les femmes. Je ne leur ferai pas de mal.

- C'est une défense assez faible. Où étiez-vous cette nuit ?

- Ici.

Il est tendu.

- Je suis désolé, si vous avez d'autres questions allez-y mais j'ai un rendez-vous téléphonique avec mon éditeur très important. Je repousse sans problème si vous avez besoin. Dans le cas contraire je crois que la formule est : Si quelque chose me revient, je vous appelle.

Lola ne répond pas de suite. Elle reste assise et observe autour d'elle. Elle mémorise.

- Nous obtiendrons un mandat et nous reviendrons pour tout fouiller.

Elle se lève et le remercie d'un geste de la tête. Il l'accompagne jusqu'à la porte sans dire un mot.

Dans l'ascenseur, elle garde un goût amer de cet entretien avec ses questions sur ses propres livres de merde. Il avait même réussi à la faire partir à la minute où il l'avait voulu. Quelle conne.

Appel entrant de Jules :

- Oui ?

- Problème avec le beau-père il répond pas, il est pas chez lui. Va falloir perquisitionner.

- C'est possible dans l'après-midi après avoir visité l'appartement de Raphaelli. 

Avenue MercedesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant