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Dimanche 28 février 2021.

- Matteo ! Matteo attendez-moi ! crie Gersande derrière l'écrivain. Il se retourne et voit ses longs cheveux d'or dans le vent entre les flocons et, lorsqu'elle est plus proche, le sang sur sa joue. Il prend sa tête dans ses mains elle ferme les yeux.

- La librairie, murmure-t-elle.

Elle est pâle, elle va perdre connaissance. Elle tombe dans ses bras. Matteo est à quelques mètres de la librairie Poids plume.

- Reste avec moi, dit-il.

Elle pèse plus lourd que ce qu'il aurait pu imaginer. Il passe la porte en faisant attention à sa tête qui ballote trop.

- S'il-vous-plaît ! Il y a quelqu'un ?

Sylvie lâche les livres qu'elle tenait.

- Montez-la dans le bureau de sa mère ! J'appelle les secours !

Matteo monte Gersande à l'étage. L'adrénaline ne suffit pas à rendre moins pénible l'exploit physique. Il sue, a mal aux bras et au dos. La porte du bureau est fermée, il donne un coup de pied dedans, elle s'ouvre à la volée. En l'étendant il fait bien attention à dégager le bureau avec l'arrière de son bras. Il fait très attention à sa tête. Il a du sang sur les doigts :

- Gersande ? Tu m'entends ?

Matteo entend déjà des éclats de voix au rez-de-chaussée. La mère arrive avant les pompiers, elle est en furie. Elle débarque dans le bureau, vive et rouge.

- Qu'est-ce que ça veut dire ?

Sylvie est restée dans la boutique.

- J'ai posé une question il me semble !

Matteo reste un instant impassible. L'odeur du parfum de cette femme l'irrite. La ressemblance avec sa fille est frappante. Seuls les traits tendus au visage et au cou les distinguent.

- Vous êtes demeuré ou quoi !?

Matteo ne se lève même pas. Une mèche retombe sur le visage de Rebecca.

- Qui êtes-vous ?

Son regard va sur sa fille allongée sur son bureau et revient cet homme assis comme à son chevet. Elle reconnaît soudain la tête d'affiche.

- Vous êtes l'auteur, dit-elle. Qu'est-ce qu'elle a encore fait cette idiote ?

L'arrivée de Joël empêche Matteo de répondre à Rebecca. A la vue de Gersande le jeune homme lâche le chiot qui court vers sa maîtresse. Le petit animal blanc jappe, ses deux pattes antérieures sur un pied du bureau. L'anglais est visiblement choqué et presque en pleurs. Matteo sort de la pièce, Rebecca le retient. Il reste une seconde face à elle. Il est bien plus grand et ses yeux paraissent beaucoup plus vieux qu'il n'est en vérité. Elle regarde ses mains, des mains vigoureuses pour un type qui pianote sur un clavier. Mais elle sent son trouble, une porosité en lui, une faiblesse.

- Vous ne me faites pas peur.

- Pourquoi tout en vous me dit le contraire ? répond-il. Il se retourne et commence à descendre les escaliers, elle lui court après :

- Qu'est-ce que vous faites avec ma fille ? Hein ? Dites-le moi. Vous lui faites quoi ? Qu'est-ce que vous faites dans votre appartement espèce de dégueulasse ? Vous baisez ma fille ? Pourquoi elle vous voit tous les jours depuis un mois ?

Matteo se dégage, descend les dernières marches et traverse la boutique. Un couple de vieux clients les observent. Au niveau de la porte Matteo saisit un promontoire de cartes postales et le jette au sol derrière lui. Le métal sur le carrelage fait un bruit assourdissant. Il quitte la boutique et marche d'un pas vif sur la rue Lekain face à la librairie. Il fuit avec la sensation d'abandonner Gersande. Il n'a qu'une envie, revenir sur ses pas, attraper Rebecca au col de sa robe, la soulever contre un mur et la regarder se débattre. 

Avenue MercedesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant