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MATTEO RAPHAELLI

Dans le métro à l'arrêt Passy, je ne pouvais m'empêcher de regarder ce clodo duquel tout le monde cherchait à s'éloigner au fond du wagon. Une odeur immonde émanait de lui. Son nez était énorme, boutonneux, violacé. Ses mains étaient gonflées, ses ongles longs. Il s'était curé quelque chose quelque part et je le voyais hésitant à expulser ce qui se trouvait sous son ongle jaune.

La terreur d'être atteint par ce déchet s'empara des gens autour de lui pourtant éloignés. De longs cheveux gras pendaient autour de son visage. Je me demandais comment cet être avait-il pu être un enfant. Comment était-il ? Je ne le voyais pas courir dans la rue pavée d'un arrondissement populaire de Paris, et se cacher, un ballon de football sous le bras à l'appel de sa mère depuis la fenêtre de l'appartement familial. A force de m'interroger je finis par l'imaginer. Je le vis embrasser une fille sur un quai de gare. Il portait l'uniforme et partait pour la guerre d'Algérie. Je me dis qu'il y avait peu de chances qu'il ait survécu aussi longtemps. Quand soudain, une explosion.

Le métro s'arrêta.

Des lumières pleuvaient sur nous.

Même en présence de la beauté du feu d'artifice du réveillon et le sentiment de reconnaissance envers le chauffeur de s'arrêter sur le pont de Bir Hakeim pour nous laisser profiter du spectacle, je sentais les rares passagers contrariés par la présence du clochard. Lui regardait ses bras et les paillettes du monde extérieur qui glissaient sur lui.

Mon œil fut attiré par un mouvement dans le compartiment voisin. Tous étaient subjugués par le spectacle, moi j'entrapercevais une jeune femme se faire agresser par quatre hommes dans le wagon nous précédant. Un type portant l'uniforme de la RATP filmait le feu d'artifice avec son téléphone. Je lui empoignai le bras.

- Hé ! Une fille se fait agresser !

- Quoi ?

- Dans le wagon d'à côté !

J'essayais d'ouvrir la porte de wagon, mon agitation attira les regards.

- Il faut ouvrir les portes !

Le gars ouvrit grands ses yeux. Je lui hurlais dessus.

- Comment on ouvre ces putains de portes ?

- Calmez-vous, qu'est-ce qu'il se passe ?

Le silence. Le clochard riait. Je criai :

- Une fille se fait violer dans le wagon voisin, on fait comment pour entrer ?!

Le gars vit enfin ce qu'il se passait et saisit un trousseau de clefs accroché à sa ceinture. Il tremblait mais trouva le bon passe. Il ouvrit la porte de notre wagon. Le passe déverrouilla la seconde porte et je fonçai contre les quatre salopards, en tenant mon parapluie à deux mains comme une batte de baseball. Personne ne me suivit.

Personne ne m'avait suivi. Voici ma pensée lorsque je descends à Bir Hakeim. Deux mois ont passé depuis l'agression de Gersande et ce souvenir me revient à chaque fois que je reprends la ligne.

Arrivé au pied de la Tour, à l'angle des avenues Gustave Eiffel et Charles Floquet, un homme me demande si j'ai une réservation. Je donne le nom de Dunia Saad. Une bouffée de stress m'envahit le temps qu'il vérifie. Il lève enfin la tête vers moi :

« Bienvenue au Jules Verne monsieur. »

Il s'efface et me désigne l'ascenseur privé du restaurant. Les portes s'ouvrent devant moi. Une jeune femme en uniforme apparaît et me sourit.

La montée est longue jusqu'au deuxième étage. Les portes s'ouvrent et dévoilent le magnifique restaurant.

« Bonne soirée Monsieur. »

Je ne bouge pas. La femme de la réception me regarde depuis son pupitre.

« Bonsoir Monsieur. » Son sourire se crispe à mesure que les secondes passent en me voyant rester dans l'ascenseur. Musique, bruits de couverts, conversations entremêlées arrivent jusqu'à moi. Sa collègue dans l'ascenseur garde le doigt appuyé sur le bouton actionnant l'ouverture des portes.

« Vous allez bien Monsieur ? »

A travers les plantes décoratives, les tables et les clients, près de la vitre, j'aperçois Dunia de dos. Dunia Saad dans une robe rouge. Elle regarde le Trocadéro droit devant elle. Sa main droite, ses longs doigts fins, tiennent le pied d'un verre de vin rouge. Elle a ramené sa longue chevelure noire à l'avant par-dessus une épaule dévoilant un dos nu.

Je ne me souviens pas de son odeur, je ne me souviens pas de sa voix, je ne me souviens pas de sa respiration, ni de son rire, ni de ses pleurs. Je me souviens à peine de sa peau en fait. Je n'ai pas le son mais j'ai les images. Je la revois rire, pleurer, dormir à côté de moi. Je la regarde encore un instant jusqu'à ce :

« Monsieur ? »

Avenue MercedesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant