78.
Metz. La maison des Lucas.
La chambre de Valentine a été transformée en bureau. Des photos d'elle trônent sur presque chaque étagère de la bibliothèque.
- Ce n'est pas parce que nous avons réaménagé sa chambre que nous ne pensons plus à elle, dit la mère.
- Nous n'avons pas cessé de prier pour elle. C'était compliqué de vider ses affaires, complète le père. Il porte une croix autour du cou et des portraits d'hommes d'Église, du prêtre au pape, trônent un peu partout dans la maison.
- Pourriez-vous me montrer tout ce qui la liait à Matteo Raphaelli s'il vous plaît ? demande Jules. Les parents échangent un regard. La mère se triture les ongles.
- Au téléphone, votre collègue nous a dit que deviez reprendre l'enquête à zéro.
Jules n'accepte toujours pas la pudeur des familles à parler des faits.
- C'est juste, Madame.
- Écoutez, à l'époque vos collègues nous ont posé plein de questions, or nous ne l'avons jamais vu ce Matteo. Val en était très amoureuse mais leur histoire n'a duré que quelques mois... Il nous a appelé un jour pour nous parler d'elle.
- Personne n'aurait pu mieux parler d'elle que ce jeune homme.
- Il y avait beaucoup de...
- Beaucoup d'amour.
Le père a l'air apaisé, la mère semble plus normale, encore choquée. Jules s'adresse à elle :
- Vous n'avez pas de cadeaux de lui, des lettres qu'ils s'échangeaient ?
- Non. Rien. On s'est dit que c'était dû à leur rupture juste avant sa disparition. Il y a juste un enregistrement vocal d'une émission radio à Radio Campus, répond-elle. Le père caresse sa croix et sourit :
- Ils se sont rencontrés là-bas.
- Elle faisait des chroniques sur l'environnement.
Jules se demande s'il n'avait pas lu quelque part qu'une des femmes dans La Maladie de l'Amour ne faisait pas la même chose.
- Et lui sur la littérature.
- Nous l'avons parfois écouté avec mon mari.
- C'était pas mal, approuve le père.
Jules se demande, quand il le voit sourire, s'ils ont compris que le corps de Valentine est à la morgue.
- Vous avez saisi qu'on a retrouvé le corps de votre fille et que cela relance l'enquête ?
Le père et la mère se rapprochent l'un de l'autre. Elle lui prend le bras comme pour l'adjurer de prendre la parole. Il demande assez légèrement :
- Je suppose que vous aurez besoin de l'un de nous deux pour reconnaître le corps ?
Ou bien ils sont drogués. Jules s'avance vers le père.
- Des mails entre eux ou des sms ? Vous avez encore son ordinateur ou son téléphone, à Valentine ?
Le père ne se défait pas de son sourire et acquiesce.
- On n'a jamais trouvé son téléphone. Mais nous avons gardé son ordinateur. Il a été fouillé par la police, vous n'aviez rien trouvé à l'époque... Il sert de cadre photo maintenant. L'écran de veille diffuse des photos de Valentine dans la salle à manger du salon. C'est une idée de ma femme. Venez si vous voulez.
Ils passent devant les toilettes fermées avec l'écriteau men are left because women are always right et entre dans le salon.
Parmi les portraits des derniers papes, Jean Paul II est entouré de bougies. Jules réprouve, il n'a jamais compris la fascination pour un homme élu par de vieux fonctionnaires. Où est la sélection divine ? Si au moins au cours de la cérémonie, une lumière traversant les nuages désignait le vainqueur qui s'élèverait de quelques centimètres. Une forme d'assentiment divin.
L'ordinateur portable est posé sur le buffet. Des photos de Valentine défilent : parachute, vélo, plages, équitation, concert, yoga. On retrouve les mêmes photos que sur les réseaux sociaux.
- Ça fait tellement longtemps que l'ordinateur est comme ça. J'espère qu'il ne va pas bugger. Il est constamment sur secteur, prévient le père.
Jules tire une chaise à lui et appuie sur un bouton du clavier. L'écran n'est pas immédiatement réactif. Le bureau finit par s'afficher et l'enquêteur commence à en ouvrant différents dossiers. La mère entre dans la pièce.
- La police a déjà tout fouillé et n'a rien trouvé pour inculper Matteo.
Jules cherche plusieurs minutes mais ne trouve rien. Il tape des mots clefs dans la barre de recherche.
Matteo
Matou
Raphaelli
Sexe
Fellation
Sodomie
La mère ferme l'écran de l'ordinateur. Son geste surprend les deux hommes.
- Pourquoi écrivez-vous ces horreurs ?
- Je cherche un historique de conversation. Je mets des mots peu courants pour tomber dessus.
- Et comment osez-vous penser qu'ils s'écrivaient ça ? Pourquoi voulez-vous que Matteo soit coupable ?
Sa voix est un peu plus haute.
- Et vous, pourquoi tenez-vous à le protéger ? demande Jules.
- Parce que c'est un homme bon, il a été formidable avec ma fille, il l'a rendue heureuse.
Les doigts du père sont blanchis par la pression qu'il exerce sur le dossier de la chaise. Jules s'apprête à rouvrir l'ordinateur mais s'immobilise :
- Qu'est-ce que c'est ?
Il pointe du doigt un sticker à l'effigie de Batman collé sur la pomme du MacBook.
- Rien, dit la mère. Un autocollant Batman.
Jules cherche le regard du père.
- Ça vous semble cohérent avec Valentine ? Une prof de Yoga, littéraire, fan de cinéma d'auteur qui colle la tête de Batman sur son ordinateur ?
Jules rouvre l'écran. Les parents s'approchent. Le lieutenant tape Batman dans la barre de recherche.
Une conversation apparaît.
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Avenue Mercedes
Gizem / GerilimGersande Hellker, 17 ans, disparait en pleine nuit dans un des quartiers les plus huppés de Paris. Le principal suspect est un jeune auteur célébré pour deux romans d'amour où chacune des femmes de sa vie se reconnait. A-t-il supprimé sa nouvelle...