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Vendredi 5 mars 2021, soir. Aéroport d'Orly.

- Avec quel argent ?

- Celui de Matteo.

Nathan et Lucia sont dans le taxi les amenant au centre de Paris. Depuis Orly ils n'ont pas dit un mot. Lucia ne sait vraiment pas où elle met les pieds. Ça pouvait revenir à des vacances, tous frais payés. Par Matteo.

- Parce que je n'ai pas d'argent, du tout.

- Ne vous inquiétez pas. je vous ai réservé un hôtel.

- Dormir c'est bien mais il y a le manger.

- Voici de quoi commencer.

L'avocat prend trois cents euros dans son portefeuille et les lui tend.

- Quand est-ce que je vois Matteo ?

- Pour l'instant il vaut mieux que vous ne le voyiez pas.

Elle garde le silence. Pourquoi ne peut-elle pas le voir ? L'avocat doute-t-il de son innocence ? C'est peut-être le rôle de l'avocat de douter de tout ? Lucia se pose la question et en même temps se dit-elle, ça lui fait drôle de la formuler : « Matteo a-t-il kidnappé une jeune femme et tué une autre ? » Impossible.

Nathan regarde les voitures à travers la vitre fumée. Il revoit dans son souvenir Matteo essoufflé après une course folle dans Bordeaux lorsqu'ils étaient en deuxième année de licence de droit.

Une nuit de décembre, ils s'étaient faits aborder par cinq mecs à capuche qui cherchaient la bagarre. Matteo avait géré la situation en les baratinant puis ils avaient couru. Ils avaient repris leur conversation et leurs souffles, les mains sur les cuisses, devant le Grand Théâtre, le sang imbibé de Mojitos qu'ils s'étaient enfilés au Coco Blu.

- La mer de l'Amour.

- De quoi ? avait demandé Nathan hors d'haleine.

- Les vagues naissent, arrivent, s'échouent sans cesse. Il y a les marées, parfois c'est distant, parfois c'est tout proche, c'est oppressant. Il y a des jours où c'est calme, d'autres où c'est la tempête. Mais le truc c'est l'effet. Ta vie c'est du sable et l'amour, c'est l'eau qui remet les compteurs à zéro.

- Moi quand je vois l'océan, je me dis qu'il y a plein de gens qui ont pissé dedans et je ne comprends pas pourquoi les parents laissent leurs gosses y boire la tasse.

- C'est la différence entre toi et moi. Je serai écrivain et tu finiras avocat.

Matteo avait souri et avait désigné la place devant eux avec ses bras tendus et ouverts.

- Pourquoi donne-t-on la vie alors qu'il y a tant de souffrance ?

- Parce qu'on aime faire l'amour.

- Voilà où je voulais en venir.

Nathan avait ri.

- Tes digressions Matteo. Je sais pas comment tu fais.

- Dans Seul le silence, Ellory fait dire à un shérif « Parfois j'aime bien faire des détours quand je parle, comme ça j'ai vraiment le sentiment de passer la ligne d'arrivée quand j'arrive à destination ».

- T'as retenu ça par cœur ?

- Et je me l'approprie. Voilà comment on écrit un roman mon vieux. Je reconnais ce qui est à moi quand je le vois.

Les deux copains s'étaient assis sur les marches de l'Opéra. Ils avaient admiré le Grand Hôtel Le Régent. La place de La Comédie était déserte.

Il s'était tourné vers Matteo qui regardait si le trou dans son jean au niveau de l'entrejambe s'était agrandi pendant la course.

- C'était dingue comment t'as gardé ton sang-froid face aux mecs.

- Quel sang-froid ? J'étais paralysé de peur. Mon sang n'était pas froid, il était gelé vieux.  

Avenue MercedesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant