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DUNIA SAAD

Série de lettres adressées à Lola Fergusson, septembre 2021

(Reproduites en vue de la future publication des documents de l'affaire )

Notes pour le 20 février 2021, Paris.

Je refermai La Maladie de l'Amour de Matteo et restais interdite un long moment. La dédicace était pour moi. Pleine d'ambiguïté, A nos châteaux en Espagne.

La librairie Poids plume n'était pas grande mais arrangée avec goût. J'admirais le plafond à caissons. J'aimais les étagères du fond qui laissaient entrevoir d'autres rangées de livres perpendiculaires.

J'entendis mon nom. La femme face à moi attendit ma réponse. Elle tendit une main, que je serrai, me disant être ravie de me rencontrer. Elle fixa un instant le livre que je tenais, tentant d'en voir la couverture et je la lui présentai. Elle eut une sorte de soupir. Grosse vente. On va monter au bureau pour discuter.

Elle se tourna vers une jolie blonde et lui demanda de la remplacer. La jeune femme ne répondit pas mais arrêta sa mise en rayon pour se diriger derrière du tiroir-caisse pour encaisser une vieille dame souriante. Madame Duffrey me fit signe de la suivre.

Elle m'emmena au premier étage. Le parfum de ma cliente était agressif. Un parfum de femme qui voulait exister.

Depuis la fenêtre d'un petit bureau donnant sur la rue, je voyais les gens faire la queue devant le la pâtisserie Aux merveilleux de Fred qui faisait l'angle avec la rue Lekain. Il se dégageait de la boutique, je l'avais sentie en arrivant, une odeur sucrée de brioche au chocolat.

La pièce du bureau paraissait vide. Pas de livre sur les étagères mais quelques cartons, quelques revues d'art, des bibelots, des prix du voisinage et des photos. Principalement d'elle et d'une femme plus âgée. Sa mère avec peu de doute. On ne peut jamais dire sans aucun doute à mon avis.

Madame Duffrey fit une remarque sur la beauté et la couleur de ma peau. Cela semblait être un reproche.

Elle supposa que je n'avais pas beaucoup de temps à perdre, elle préférait donc être très honnête avec moi. Si elle m'avait appelée, c'était après avoir lu mon interview dans Madame Figaro. Madame Duffrey-Hellker est connue dans le quartier. Désormais elle y habite, l'image que l'on a d'elle est importante.

Au moment où je pensais qu'elle avait plus besoin d'une experte en communication que d'une détective elle s'interrompit pour me demander si je ne noterais rien de ce qu'elle disait.

Elle sortit d'un tiroir de son bureau le magazine du Figaro et fit glisser son ongle manucuré sur la page qu'elle avait cornée. Dans le magazine, il est écrit que j'ai un QI de 180. Je confirmais.

Je dû me résoudre à répéter mon texte. Ce n'est qu'une forme d'intelligence. Je suis douée pour ce que je fais mais j'ai d'autres lacunes. Elle attend plus de détails mais je n'ajoute rien.

Commencent ensuite les vraies questions des gens qui s'apprêtent à payer pour que l'on entre dans leur vie intime.

Pourquoi étais-je rentrée des États-Unis ? Ce n'était pas dit dans l'article. J'annonçais avoir été appelée pour une affaire très importante sur laquelle je ne peux évidemment pas communiquer.

Elle parut soulagée. D'où l'article. Elle se demandait si je ne cherchais pas de la publicité pour l'ouverture des bureaux de l'antenne parisienne de mon agence de détectives privés. Je réponds qu'il y a de ça aussi. L'honnêteté de ma réponse lui plaît.

Je demande des informations sur son époux. Elle n'avait rien voulu dire au téléphone mais elle pense m'appâter avec un cachet conséquent. Vingt mille euros pour un travail de renseignements, de photographies et si possible un témoignage pour lequel elle rajouterait une prime.

Monsieur le sénateur est son troisième compagnon, second mari. C'est un gros joueur qui perd plus d'argent qu'il n'en gagne. Il lui a demandé de l'aide, elle a refusé. Il l'a menacée la semaine dernière de s'en prendre à sa fille. Il était saoul mais elle sait qu'il est capable de tenir sa parole. Elle voudrait un dossier complet sur ses fréquentations afin qu'elle puisse répondre à ses menaces. Elle me demande si c'est dans mes cordes. J'acquiesce.

En sortant de la librairie, je suis vue par Danny Socko que j'ignore en espérant qu'il n'ait pas vu que je l'ai vu. Ma présence risque d'être connue avant que Matteo ne trouve mon colis-surprise dans le hall de son immeuble.

Si Danny est dans le quartier de Matteo, il y a des chances pour qu'ils se parlent. Je me dis que le monde est décidemment trop petit. 

Avenue MercedesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant