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28.

DANNY SOCKO

Dimanche 28 février 2021, Café de l'Aurore, Passy. Retrouvailles avec Matteo.

Assis au café de la place Passy je regardais à l'extérieur. Il neigeait. Je l'ai reconnu à travers la vitre.

Je n'ai pas pu me lever, gêné par la table trop proche de la banquette. Matteo n'a pas de suite posé son regard sur moi. Le 28 février, rien n'a vraiment commencé avant cette rencontre.

J'essaie d'être précis dans mon écriture. On dit souvent qu'il ne faut pas trop décrire les personnages mais je n'oublie pas non plus que seules les apparences comptent. Celui qui parle détient la vérité, même s'il ne s'agit que de la sienne et surtout s'il s'exprime en dernier.

Matteo m'a tendu une main que j'ai serrée. Il a imposé une distance dès le début. Je m'attendais à une petite bise quand même.

Nous avons regardé autour de nous quelques secondes pour laisser s'estomper le malaise. Je me rappellerai toute ma vie de ces fauteuils en cuir marron clair, les décorations or et orange, la télévision sur un mur, élément antisocial dont la présence m'insupporte à chaque fois, le long bar arrondi dans le coin de la salle au fond, les tables et les étagères en forme d'anneaux géants posés les uns sur les autres. Je tentais :

- Enfin. (silence) Et ce nouveau roman ?

J'avais aucune idée de comment commencer.

- Ça avance.

Il a fait signe au serveur - j'apprendrai qu'il s'appelait Joël - de venir et a demandé un café viennois comme son ami.

- Qu'est-ce que tu as à raconter ? ai-je demandé.

- On ne raconte pas toutes ces années comme ça. Tu veux m'interviewer ?

Il a posé les coudes sur la table pour montrer qu'il m'accordait son attention. J'ai sorti mon dictaphone.

- On pourrait commencer. Matteo Raphaelli, bonjour.

Je souriais, stressé par son regard insoutenable.

- Danny Socko, bonjour.

Cette fameuse voix grave. Je suis resté muet un instant. Il m'a fait un signe de la tête.

- Quand tu veux.

- Oui.

- Vas-y.

Incapable de démarrer, je lâchai :

- J'ai croisé Dunia.

C'était la deuxième raison de ma visite, je savais que la Amélia de La Maladie de l'Amour ETAIT EN REALITE DUNIA. Et : JE L'AI CROISEE !

A cet instant, Matteo a changé. Je ne saurais dire si j'ai imaginé le tremblement de sa main et sa voix plus grave mais Matteo s'est soudain rapproché de moi. Avais-je dit avoir vu Dunia pour cette seule raison ? C'était bien possible.

Dès cet instant il était avec moi. Intensément avec moi. Je ressentis un mélange de peur et de jalousie.

- Qu'est-ce que tu as dit ?

A cette seconde la porte s'ouvrit. Gersande Hellker-Duffrey est entrée dans l'Aurore. Elle a vu Matteo, elle a rougi. Elle tenait un chiot dans ses bras. Je les ai regardés :

- Vu ce regard, elle se fait sauter par l'un de nous deux et il me semble que ce n'est pas moi.

Il a été froid et incisif.

- Je ne la connais pas.

Gersande était belle, elle ferait une femme superbe. J'étais certain d'avoir vu un couple gêné. J'ai ressenti de mauvaises choses.

- Tu as vu Dunia ?

Je n'arrivais pas à détacher mon regard de Gersande. Le jeune serveur lui parlait, elle ne l'écoutait pas vraiment. Elle était subjuguée par Matteo. Je t'écoute, je l'aime, je t'écoute, je l'aime. Il y avait une histoire entre elle et Matteo.

Elle captait la lumière. Je comprenais encore une fois qu'elle pouvait offrir à Matteo ce que je ne pourrai jamais lui offrir. Comme Dunia.

- Tu as vu Dunia ? a-t-il répété.

- C'est bien elle la Amélia de La Maladie de l'Amour ?

Nous étions le 28 février et c'était le jour d'anniversaire de Matteo. Je ne lui avais même pas souhaité.

- A Paris ? a-t-il demandé. Il ne cherchait pas à dissimuler sa réaction. Au moment où j'ai fait signe que oui, pensant que j'avais gagné, obtenu une série de rendez-vous avec lui pour parler d'elle et chercher à la retrouver, me disant que nous parlerions du bon vieux temps, peut-être même aurions-nous pu sortir ensemble, à la seconde où tous mes vieux fantasmes reprenaient vie, il sortit. Carrément.

Il a simplement quitté siège, en face de moi. Il est parti sans même se retourner. J'avais mis quoi ? Trois secondes à réfléchir quoi lui dire pour le retenir et c'était déjà trop. Il était dehors.

Le couple de gosses s'est alors mis à se disputer en silence. J'ai trouvé Joël extrêmement menaçant. Gersande a voulu quitter le bar, il lui a couru après, l'a attrapée par le bras au niveau de la porte.

Elle a glissé en voulant se détacher de lui et est violemment tombée. Sa tête a touché le coin d'une table. J'ai porté la main à ma bouche qui s'était ouverte de surprise sans pouvoir retenir un petit cri.

Gersande s'est relevée, les cheveux collés au sang qui suintait de sa blessure sur la tempe. Ça saigne beaucoup les tempes, tu dois le savoir puisque tu es flic. Joël s'est confondu en excuses mais elle l'a repoussé. Elle est sortie sans son chiot et s'est mise à courir après Matteo. En deux pas, elle n'était plus dans mon champ de vision. 

Avenue MercedesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant