Avenue Mercedes

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Samedi 6 mars 2021. La scierie des Raphaelli.

Le chasseur vient de partir avec son chien. Jules se lève, allume une cigarette et marche vers les décombres de la maison. Il n'en reste rien. Des vêtements noircis sont éparpillés au milieu des ruines. Une télévision fondue, écran pulvérisé, trône sur un tas de cendres.

Parmi les décombres des ateliers, les instruments de coupe et les poutres à moitié calcinées restent stupidement debout.

Le chasseur avait précisé que la mère était morte dans son sommeil. Par les fumées. D'après son ami pompier, elle n'avait pas souffert. Jules se demandait si la police scientifique de Bordeaux confirmerait qu'elle avait trouvé de la fumée dans ses poumons pour savoir si elle respirait encore ou si son fils avait anticipé ses souffrances.

Le frère avait vidé ses comptes et s'était volatilisé. Il faisait office de nouveau suspect non négligeable.

Le lieutenant retourne à la voiture. Il veut voir l'endroit où ses parents sont morts. Il est aussi descendu à Bordeaux pour ça. Une fois assis, la portière fermée, il regarde le bouquet de fleurs posé sur le siège passager de la Volvo.

La route de Cadaujac sert de démarcation entre une forêt à gauche et les vignobles à droite. La propriété de Smith Haut Lafitte et les Sources de Caudalie se trouvent à quelques centaines de mètres. Il y avait fêté ses vingt ans et pour la première et dernière fois de sa vie il avait mangé des extraits de feuilles d'or. Ça avait amusé son père. De l'or dans la soupe de poireaux.

A gauche, à travers la végétation d'un parc à l'abandon depuis des années, il apparaît. Le Château.

L'entrée du chemin qui y mène est obstruée par un monticule de terre sur lequel poussent arbustes et herbes sauvages et où ont été déposées des palettes de bois brisées, accrochées les unes aux autres par des fils de barbelés.

Inconsciemment Jules décélère et ralentit l'allure de la Volvo.

Le Château.

Ils ont huit ou neuf ans. Matteo lui court après, il l'attrape, Jules essaie de le retoucher mais Matteo est déjà reparti. C'était sa technique, toucher en repartant. C'était malin. Heureusement Jules courrait plus vite. Mais depuis l'arrivée de Dunia, Matteo était mauvais perdant. Ses parents avaient déposé la fillette deux semaines après eux et Matteo s'était mis à vouloir changer les règles. Dunia portait une robe à fleurs ce matin-là.

Jules est brusquement rappelé au présent par le bruit des roues de la Volvo qui quittent la route pour le bas-côté où la voiture est à deux doigts de finir sa course. Il pile, les roues se bloquent, crissent et la voiture cale, l'arrière dans l'herbe.

Jules pose la tête contre le volant. Il cherche une bière dans le paquet vide de la veille. Il grogne, rallume le moteur et reprend sa route pour déposer ses fleurs sur le lieu de l'accident de ses parents.

Celui-ci avait eu lieu au retour d'une soirée. Un virage serré pris trop vite par la mère. Jules avait vingt-deux ans. Sa sœur était encore au lycée. Heureusement majeure. Fini les histoires d'avion privé et de week-ends à l'étranger.

Jules se gare sur le bas-côté. Il sort de la voiture et cherche l'arbre contre lequel ses parents ont laissé leur vie. Borne kilomètre 18 sur la D8. Il ne connaît rien aux fleurs, il a pris le bouquet qu'il trouvait le plus beau. Il le dépose, le regarde et pense à sa mère. Il reprend alors le bouquet et une par une, il place les fleurs sur les arbousiers qui ont repoussé autour de l'arbre. Il les décore. Sa mère aurait fait ça.

Il n'arrive pas à se souvenir de leurs voix. Il embrasse les doigts de ses mains et envoie son baiser vers les arbustes, vers ses parents, où qu'ils soient et même s'ils ne sont nulle part.

Il retourne à la voiture. Il aura intérêt à changer de modèle parce qu'une longue route l'attend.

Le soir, son pote mécanicien lui a préparé à manger, un steak et des pommes de terre. Il a même placé un verre de vin rouge devant son assiette. Ils discutent un peu mais Jules n'est pas d'humeur. Par chance, son ami ne se rend compte de rien. Il lui dit bonsoir. Jules lui demande.

- A ton avis ? Il y a quelque chose après la mort ?

L'autre rit.

- J'espère pas, ils seraient capables de me faire bosser encore plus.

Le lendemain le mécanicien retrouve la Volvo mais le Range Rover a disparu.