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LOLA FERGUSSON

Même jour. Chez Matteo.

Au début du second entretien avec Raphaelli, je ne savais pas s'il s'était seulement senti obligé de me recevoir, ce qu'il était, ou s'il était aussi sincèrement touché par l'annonce de la découverte du corps de Valentine.

Il portait un jogging gris, des charentaises, une chemise bleu marine et un gilet. Le stéréotype de l'écrivain.

Il revenait avec deux grands mugs. Il m'avait proposé un chocolat chaud.

- Où en êtes-vous dans l'enquête concernant Gersande ?

- Nous progressons. Nous cherchons à mieux la connaître pour trouver des gens susceptibles de nous aider. Mais nous en savons beaucoup plus. Nous en avons beaucoup appris hier et plusieurs personnes ont leur avis sur ce qu'il s'est passé.

Il fallait l'effrayé mais rester crédible. Il s'assit.

- Je vois.

Nous nous tenions chacun sur un canapé. Un plaid avait été posé sur le mien comme pour protéger le velours.

- Je viens vous voir à propos de Valentine. Vous avez été contacté ce matin par un de mes collègues.

Il se redressa. J'ignorai quel était le souvenir qui remontait à l'évocation de son nom. Un petit déjeuner en amoureux ? Ou l'effort nécessaire pour faire rouler le pneu arrière bétonné d'un tracteur dans le lac, un soir d'été ?

- Nous allons collecter de nouvelles informations et nous allons recouper ces nouvelles données. Le portrait psychologique de l'assassin, si les affaires sont liées et nous pensons qu'elles le sont, nous sera livré dans quelques heures. Le commandant des recherches et le commissaire qui s'occupaient déjà de l'affaire à l'époque vont se remobiliser.

J'avais appelé le commandant de l'équipe des plongeurs et il m'avait grossièrement reproché d'avoir eu l'audace de penser qu'il était assez con ou incompétent pour laisser passer un pneu de tracteur lors de la fouille du lac à l'époque.

- Mais elle était où alors si elle était pas dans l'eau ? avais-je demandé.

- Soit dans les airs, soit sur Terre. Et il avait raccroché.

- Que voulez-vous savoir lieutenant ?

Il avait changé. Il avait un peu perdu son assurance de la veille.

- Pouvez-vous me dire où vous en étiez ? Qui était-elle pour vous ? Où vous étiez ce jour-là ? De quoi vous souvenez-vous ?

Il s'enfonça à nouveau dans son canapé. Il eut une drôle de manière de plisser les yeux.

- Bien sûr.

Il prit du temps comme s'il cherchait comment me raconter son histoire.

- J'ai rencontré Valentine à Radio Campus en décembre 2013. Nous avons immédiatement accroché. Je revenais d'une année à Londres. Je ne m'étais pas réinscrit à la fac. Je me suis installé à Paris et j'ai commencé à me consacrer à l'écriture. Je terminais un livre qui reste encore dans mes tiroirs... qui parlait d'un premier amour raté... Et j'ai présenté ma candidature à Radio Campus... Valentine avait une voix qui me plaisait et des mains qui m'ont rendu fou...Quand elle a disparu, j'ai tout fait pour la retrouver. Les affiches, les réseaux sociaux, jusqu'à ce qu'ils suppriment mes posts. Il doit y avoir des traces de tout ça dans votre dossier. Il n'y a que ses parents que je ne suis pas allé voir. Je n'ai pas osé.

Je prenais des notes. Il continua :

- Le commissaire Lange m'a proposé de venir avec lui, là où il pensait qu'elle avait disparu. Le Bois de Boulogne. Je me demandais ce qu'elle faisait là-bas. Elle devait y rejoindre une de ses amies d'après lui et... elles avaient prévu d'aller au cirque. C'est sa copine qui a appelé les policiers. La police est immédiatement intervenue même si elle n'était pas mineure parce ce que un garde du bois a trouvé une branche avec du sang. J'ai accepté de venir avec l'espoir de voir un indice ou autre chose que des étrangers n'auraient pas remarqué. Quelque chose lui appartenant ou un message. Il faisait très chaud ce jour-là. Un ciel bleu, presque irréel... On a marché le long du lac avec le commissaire. Je n'ai pas saisi pourquoi il me consacrait autant de temps. Jusqu'à ce que je comprenne l'évidence même. J'étais par défaut le suspect numéro 1. Ses parents ont dit qu'elle était dépressive à cause de moi parce que je l'avais quittée.

- Pourquoi avoir rompu ?

- Mon père venait de mourir. Je ne savais plus où j'en étais.

- De quoi est décédé votre père ?

Il précisa :

- Mon père est mort d'un accident de chasse.

- Ce n'est pas courant.

Il me scruta.

- Au contraire. Et il faudra rapporter ce qui suit à Jules.

Je ne lui avais jamais parlé de Jules. Comment le connaissait-il ? Je n'ai pas compris ce regard. Ce jour, Matteo me fit bien sentir que je n'étais qu'une simple observatrice dans cette affaire.

Avenue MercedesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant