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109.

Suite.

Son auditoire est plus qu'attentif.

- Oui Jules a raison, j'ai été amoureux de Matteo. Après la soirée du meurtre de Manon, Matteo m'a tenu à l'écart de sa vie. Je suppose qu'il y avait plusieurs raisons. L'une d'elles était forcément cette Dunia. L'été 2012 je sortais avec un agent d'Air France de la boutique de Bordeaux. Comme dans toute relation de couple, j'avais eu besoin de me confier et je lui avais parlé, de Matteo. – Il pose son regard sur Lola qui l'encourage à poursuivre. – Un jour il m'appelle pour m'annoncer qu'un homme du nom de Matteo Raphaelli a réservé un billet pour Luang Prabang, au Laos. J'ai fait comprendre à Eddy, mon petit-ami, qu'il fallait que je m'y rende. Que des choses entre Matteo et moi n'avaient pas été dites et qu'il fallait que je le voie et l'autre bout du monde me semblait l'endroit idéal. J'ai failli le perdre ce jour-là. Mais Eddy a fait preuve d'une empathie incroyable et d'une compréhension au-delà de l'entendement. Il a accepté à la condition de m'accompagner. Je le sentais au plus profond de moi et aussi insensé que ça paraît, j'étais convaincu qu'il fallait le faire. Nous avons loué une chambre dans un hôtel. Une vieille Citroën traction noire de la seconde guerre mondiale était stationnée devant notre terrasse.

- Qu'est-ce qu'on en a à foutre ? Viens-en au fait ! s'agace Jules.

- J'étais anxieux comme jamais. Nous sommes tombés sur lui. A la terrasse d'un café. Il lisait un journal. Seul. Je m'apprêtais à aller vers lui lorsqu'elle est venue s'asseoir à côté de lui. Dunia. Elle m'a vu je ne pouvais plus faire marche arrière. J'ai pris la main d'Eddy et je me suis avancé en souriant. Eddy m'a ensuite dit qu'elle était sympa... J'ai réussi à nous inviter à l'excursion qu'ils avaient prévu de faire le lendemain. Elle été contrariée. – Il se tait un instant. – Le fait est que le lendemain, nous sommes montés à six dans une camionnette. Sept avec le chauffeur. Matteo et Dunia, Eddy et moi et un couple de Belges. Nous devions voir un village plus au nord dans la forêt. Matteo voulait visiter une grotte aménagée en hôpital de fortune pendant la guerre du Vietnam. Nous avons tous les quatre suivi les instructions du guide, le Lonely Planet.

- Venez-en au fait Monsieur Socko, demande Catsolini.

- On a traversé un ruisseau. Et de l'autre côté, des rizières à perte de vue. J'ai vu le piton rocheux à l'intérieur duquel devait se trouver la grotte au bout du sentier qui longeait la rizière et des escaliers en béton pour grimper jusqu'à la grotte. Les marches étaient si raides que je me servais autant de mes pieds que de mes mains comme un hobbit aux portes du Mordor. Je suis le dernier de l'expédition. Je lève la tête pour voir à l'orée de la grotte, Matteo et Eddy rire et Dunia me fixer en silence. Tous les trois disparaissent dans le noir, je me souviens de leurs rires ricocher dans l'obscurité.

- Pourquoi tu fais autant de manières ? s'exaspère Jules en fermant les yeux.

- J'attendais que ma vue s'adapte à l'obscurité. Plus loin il y avait une ouverture. Un trou béant dans la roche, donnant sur la rizière, en bas. Il y avait des lianes qui pendaient. C'était le trou par lequel les hélicoptères américains avaient mitraillé et bombardé les combattants et les civils laotiens qui s'étaient retranchés dans l'hôpital de fortune qu'on visitait. Eddy et Dunia voulaient prendre des photos. Je décide d'en profiter pour parler un peu avec Matteo à l'écart. On s'éloigne un peu, pour ne plus être visibles ni trop entendus, on commence par parler de choses banales avant que je puisse me lancer dans mes aveux, lui dire qu'il me manque et cetera et cetera, quand on entend leurs hurlements. On se précipite et Dunia se tient seule sur le bord du gouffre. Elle fait comme si elle était choquée et elle dit qu'il a glissé en s'approchant trop près du bord. Je ne suis pas de la police scientifique mais j'ai vu des traces de lutte dans la poussière à ses pieds. Et des marques rouge sur les avant-bras de Dunia, comme si quelqu'un s'était tenu à elle pour se retenir avant d'être projeté dans le vide. Un rouge vif, comme si le type savait que sa vie en dépendait. 

Avenue MercedesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant