34.
Dimanche 28 février 2021, 18h. Restaurant Le Jules Verne, Tour Eiffel.
Le soleil se couche derrière le Trocadéro. Dunia penche la tête vers la droite et replace sa boucle d'oreille. Elle ne porte pas de collier mais des bracelets sertis de diamants et une bague Dinh Van en or blanc.
Des cheminées laissent échapper des nuages de fumée sur les toits le long de la Seine. Elle ne se sent pas bien. Elle n'a pas ressenti un tel trac depuis des années. Dans moins d'une demi-heure, Matteo Raphaelli viendra.
S'il a compris le message.
S'il a envie.
Elle frissonne dans sa robe rouge, son verre de vin à portée de main. Elle ne peut pas se concentrer. La circulation place du Trocadéro la distrait un peu. Techniquement il est en route. Il est peut-être dans ce métro qui passe sur le pont Bir-Hakeim. Attendre n'a jamais été son fort.
Elle a peur et parce qu'elle a peur, lui reviennent en mémoire les mauvais souvenirs de leur relation. Elle a conscience qu'il s'agit d'un moyen de défense en prévision de sa déception s'il ne vient pas. Elle revoit ces moments de doute et de colère contre lui. Les moments où elle se sentait seule, abandonnée. Mais sans ça elle ne serait jamais allée à Lyon puis Paris puis New-York pour devenir détective. Sans le besoin de s'éloigner de lui, elle n'aurait jamais eu la force et le courage de se lancer dans cette carrière.
Il l'avait déçue mais en réalité la faute de cet échec lui appartenait peut-être tout autant. Elle n'avait pas su le soutenir jusqu'au bout dans ses rêves. Elle l'avait abandonné au moment où c'était peut-être le plus difficile pour lui de s'épanouir. Il avait le droit de le penser. Qui avait fauté le premier ? Elle se souvient d'une dispute où il avait tenu à lui faire dire qu'il était tout pour elle et elle avait répondu qu'il n'était rien, « tout petit comme ça », en montrant un espace ridicule entre son pouce et son index, le bras tendu vers lui, « t'es mal formé ! », avait-elle crié. Ses yeux étaient devenus ronds comme des soucoupes. Il avait éclaté de rire
Elle se reproche de retomber dans la nostalgie et regarde son verre de vin. Elle se promet de ne pas y toucher tant que l'heure de la rencontre n'est pas passée.
18h34. Six minutes après l'heure. C'est finalement arrivé. Pour la première fois il n'est pas venu à un rendez-vous. Il est passé à autre chose. Elle ne compte plus pour lui. Elle essaie de clore l'affaire mais une voix trop forte en elle lui dit d'attendre un peu. Peut-être est-il simplement en retard ? Peut-être même a-t-il prévu d'arriver en retard pour la faire réfléchir, l'inquiéter ? C'est hautement possible, se dit-elle.
A 18h36, elle saisit délicatement le verre de vin et le porte à ses lèvres. Elle ne ressent pas de colère, un peu de déception, de la résignation. Les années ont passé, cela semble normal.
Mais s'il refuse de te voir c'est sans doute parce que justement il éprouve quelque chose pour toi, lui dit sa petite voix. Ou bien encore n'a-t-il rien vu, rien compris au message, peut-être ne l'a-t-il même pas reçu ? A-t-il au moins trouvé le paquet ?
Elle sait au fond d'elle qu'il a ouvert le cadeau, lu le message, compris et pris la décision de ne pas venir. C'est de la honte qu'elle ressent. De s'être rabaissée à vouloir rejouer avec son vieux partenaire, de vouloir revoir son amoureux, le seul homme qu'elle ait aimé et qu'elle a pourtant quitté. Elle se sent stupide, jugée et ridiculisée. Elle repartirait à New-York ou Londres dès que possible.
- Dunia ?
Elle se retourne, le cœur prêt à exploser.

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Avenue Mercedes
Mystery / ThrillerGersande Hellker, 17 ans, disparait en pleine nuit dans un des quartiers les plus huppés de Paris. Le principal suspect est un jeune auteur célébré pour deux romans d'amour où chacune des femmes de sa vie se reconnait. A-t-il supprimé sa nouvelle...