154.
DANNY SOCKO
Mercredi 10 mars 2021. Cabinet du Dr Nora Milevitch, Léognan.
Le docteur devait avoir un dossier sur Matteo. Elle me proposait de poursuivre et en cherchant le moyen de me retrouver seul dans la pièce je commençai :
- Est-ce que ça fait cliché de parler de sa mère pour un premier rendez-vous chez un psy ?
- Vous n'avez aucune obligation, ce bureau est un terrain de liberté verbale. Vous pouvez parler de ce qui vous chante.
- Autant parler de mon problème de suite.
- Quel est votre problème ?
Je mentis et évitai le sujet des parents.
- Il s'appelle Harry.
- D'accord, qui est Harry ?
Je n'arrivais pas à savoir si Boino lui avait parlé de moi.
- Un copain d'enfance.
- Un amoureux ?
Je ne pus m'empêcher de réagir.
- Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
- C'est votre manière de prononcer son nom.
- Ma manière de prononcer son nom ?
- Vos yeux vous ont trahi aussi. J'en ai déduit deux choses. Vous l'avez aimé et il ne s'appelle pas Harry. Mais appelons-le Harry si vous préférez. Je vous écoute.
Je pris quelques secondes.
- Harry est une longue histoire.
Sur les murs, des dossiers, des livres et des revues. Milevitch suivit mon regard puis revint vers moi.
- Prenez votre temps.
- D'abord, je le connais depuis toujours. Ce que je vais vous dire va vous faire penser que je suis obsédé par lui. Il serait faux de dire que c'est faux.
Je pris encore quelques secondes.
- Je me souviens d'un moment particulièrement agréable. Mais j'ai surtout une succession de moments moins sympathiques en tête.
J'ai raconté mon amour pour Matteo. Je me suis mis à pleurer. Alors cette cruche se sentit obligée de me dire :
- Laissez-vous aller, si les larmes montent, laissez-les venir Danny.
- C'était pas prévu.
Je jouais le patient dépassé par sa confidence.
- Je ne pensais pas vous raconter ça.
- Pourquoi l'avez-vous raconté d'après vous ?
J'allais avoir droit à la leçon de morale du jour. Je lui avouai la vérité pour l'éviter.
- Parce que tomber amoureux de lui, c'est le meilleur moment de ma vie. L'avant de la condamnation au malheur et à la torture psychologique, de la conscience d'être un rejet de cette société de merde parce qu'on est homosexuel, de se sentir interdit d'aimer la personne que l'on veut aimer et de ne même pas se sentir en sécurité.
La psychologue griffonna sur son carnet. Je finis d'arracher un morceau de peau de ma lèvre et dis :
- Ma mère était femme au foyer. Mon père était pasteur. Pentecôtiste. Un extrémiste. Vous faites le lien ?
- Je commence.
Milevitch acquiesça. Je me mis à fabuler en me servant d'un article que j'avais lu sur le viol d'enfants. Honnêtement, qu'est-ce qui aurait pu éloigner Matteo si longtemps de l'école sinon une agression traumatisante ? Il ne semblait pas avoir de blessure physique ou une maladie grave. Si on y réfléchissait ça faisait sens. L'un des thèmes de La Maladie de l'Amour est la violence sexuelle subie par les enfants :
- Je pourrais vous montrer les cicatrices sur mon corps et vous réciter les versets de la bible qu'il me hurlait à chaque coup de ceinture. – Je commençais à parler vite, à m'agacer, je sentais une colère profonde monter en moi – Vous savez donc qu'il faut tirer du plaisir...
- Je dirais plutôt réconfort, c'est un moyen de défense.
- Oui, réconfort, dans l'horreur pour survivre. C'est la seule façon pour le cerveau humain de se déconnecter...
- Là encore j'utiliserais un autre mot, relativiser. Le cerveau de l'enfant essaie de convaincre l'esprit et le corps que le drame qu'il vit au cours de l'agression est moins grave que la mort. C'est une mise en perspective extrême.
- D'accord, nous relativisons pour survivre.
- Quel âge aviez-vous ?
La tête baissée, je ne levai les yeux que pour lui dire :
- Auriez-vous de l'eau s'il vous plaît ?

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Avenue Mercedes
Mistero / ThrillerGersande Hellker, 17 ans, disparait en pleine nuit dans un des quartiers les plus huppés de Paris. Le principal suspect est un jeune auteur célébré pour deux romans d'amour où chacune des femmes de sa vie se reconnait. A-t-il supprimé sa nouvelle...