Avenue Mercedes

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LOLA FERGUSSON

Le mardi 2 mars 2021. Chez Matteo Raphaelli.

Matteo caressait le velours bleu nuit du canapé d'un geste négligeant :

- Mon frère m'a sorti du lit et m'a entrainé dans le salon. Ça a été un conseil de guerre familial. Ma mère nous attendait. Elle m'a prié de partir. C'était mieux pour tout le monde. Je lui ai demandé si c'était le mieux pour elle... Tu sais, ma propre mère m'a regardé droit dans les yeux. Elle a répondu en me demandant en retour si je m'étais déjà posé la question de savoir ce qui était le mieux pour quelqu'un d'autre que moi... - Il se tut un instant, revivant la scène. Je n'ai pas relevé le tutoiement. – J'étais devenu un étranger. J'étais jaloux de mon frère. Mais je comprenais qu'ils ne m'avaient pas pardonné pour une histoire terrible sur laquelle il se m'éprenait. Sa petite amie a été assassinée au cours d'une soirée. J'étais présent à cette soirée, je devais la ramener chez elle. J'avais quitté Valentine parce que je croyais en la décision de revenir pour les miens, palier mon absence depuis la mort de Manon... Ma famille me détestait. J'ai pris mes affaires. Sans un mot. Sans attendre. Je suis rentré sur Paris. Je m'apprêtais à appeler Valentine le lendemain. Je voulais tout lui raconter. Mais dans le train du retour on m'a volé mon téléphone. J'en achète un nouveau et je reçois un appel d'un numéro inconnu. C'était le commissaire Lange. Il m'annonçait la disparition de Valentine et il souhaitait me voir.

En psychologie criminelle j'avais appris que ce discours très personnel et émotionnellement intense de Raphaelli pourrait être qualifié de diversion. C'est une forme de mensonge qui consiste à reconnaître une émotion en mentant sur sa cause réelle. Cette peur, cette confusion, cette colère en lui, n'étaient-elles pas dues à la découverte d'un corps qu'il aurait caché plutôt que suscitées par le souvenir d'un éloignement familial imposé ? J'étais soulagée de voir mes capacités de réflexion revenir après un premier entretien complètement raté avec l'auteur.

- Et sur place, au Bois de Boulogne, rien ne vous a interpellé ? demandai-je.

Il se leva et se dirigea vers l'une des fenêtres donnant sur l'avenue. Je devinai qu'il regardait l'appartement de Gersande.

- Non.

- J'ai vu que vous étiez propriétaire d'un chalet dans les Alpes depuis peu. Chantebise, je crois.

Il prit un moment, un court moment, de sorte que je ne pouvais rien en déduire.

- Oui, pourquoi ?

- Est-ce que vous accepteriez que nous y jetions un œil ?

- Pas de problème.

- A quel point étiez-vous proches avec Gersande ?

- Je ne sais pas où elle est. – Pendant un long moment il ne dit rien. – Où l'a-t-on trouvée ? Valentine ?

- Dans le lac. Du Bois de Boulogne.

Il semblait étonné.

- Pourquoi ne l'a-t-on pas trouvée en 2014 ?

- Les plongeurs disent qu'elle n'y était pas. Elle a sans doute été tuée ailleurs puis déposée là.

Je tentais de déceler une réaction qui le trahirait, mais son visage était un masque. J'attendais de lui une erreur. En matière de mensonge on appelle ça une fuite. Ou un indice de tromperie. Un geste, un réflexe, un élément dans sa tenue ou dans son discours qui trahirait un mensonge comme un soin particulier à choisir ses mots ou des silences dans une phrase. Il reprit son histoire.

- Je n'ai rien vu qui aurait pu m'aider ou aider la police ce jour-là. J'ai l'image en tête d'un ballon rouge coincé dans les branches d'un arbre au bord de l'eau. Et il y avait cette musique insupportable de manège pour enfants, sur l'esplanade. Ça sentait les animaux du cirque qui était, je ne me souviens pas du nom, qui était installé là sous un chapiteau blanc et rouge. Lange m'a proposé de l'eau et de nous asseoir. J'étais épuisé...

- Donc rien ?

- Dans quelles conditions... plus précisément l'a-t-on trouvée ?

J'avais envie de voir sa réaction.

- Elle a été coulé, au fond du lac. On l'a mise à l'intérieur d'un pneu de tracteur.

Il resta pensif puis retrouva son sourire poli pour me dire :

- Bien. Parlons de toi maintenant.