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LOLA FERGUSSON

Mardi 23 mars 2021. Unité pour Malades Difficiles de Cadillac.

Lorsque la cheffe du service des longues peines de l'UMD de Cadillac nous annonça que la mère de Danny avait eu droit à une sortie, j'ai cru m'évanouir.

- Mais non, je plaisante, fit la femme en souriant. Une détenue longue peine ne sort pas les amis. Pardon, je ne pensais pas que vous marcheriez autant.

Kévin m'accompagnait. Lange avait accepté sans discuter. Face à notre silence la femme annonça :

- Vous allez bien vous entendre avec Madame Socko pour ce qui est de l'humour.

Nous nous sommes retrouvés dans une pièce blanche. Une table au milieu et trois chaises. Seize pieds vissés dans le sol. Un homme et une femme en blouse blanche attendaient les bras croisés au fond de la pièce sous une fenêtre avec barreaux. Ce n'était pas leurs carrures qui les différenciaient.

Une femme d'une soixantaine d'année était assise, les genoux sur le côté, le corps penché sur le même côté, recroquevillée sur elle-même. Kévin est entré derrière moi. C'était sa première mission mais il était grand et costaud, il impressionnait et me rassurait. Sans bouger, l'homme ordonna :

- Assieds-toi correctement.

- Ta gueule, cracha la mère de Danny, d'une voix très grave. J'me mets pas dos à toi. Enculé.

Je n'avais aucune idée de la manière dont nous devions nous comporter. Qui engageait la conversation ? Pouvions-nous poser des questions ? Avions-nous le droit de la regarder dans les yeux ? La responsable aurait dû nous le dire. La mère de Danny était maigre, ses longs cheveux gris étaient tirés en arrière, en une queue de cheval serrée.

Elle se redressa un peu. Elle sourit. De belles dents. Fausses, pensai-je.

- Bonjour Madame, commençai-je. Je suis Lola Fergusson et je vous présente Kévin Kremer.

- Encore un K et ça fait KKK.

Elle sourit un peu plus. Elle posa une main sur la table. Je vis à la place de l'alliance une cicatrice qui entourait son annulaire comme si elle avait tenté de se le sectionner.

- Nous venons vous voir pour discuter de l'appel que vous avez passé à la télévision après avoir vu votre fils. Nous ne nous intéressons pas à comment vous avez pu avoir accès au téléphone. J'ai dit au Directeur que nous vous poserions la question mais je n'attends aucune réponse.

Je laissai du temps. Elle me fixait sans ciller. Une ridule sur sa joue se forma lorsqu'elle renifla. Le gardien la prévint :

- Ne crache pas.

- Enculé. – Elle avala et nous dit : – il n'est pas venu me voir.

J'avais envie de regarder Kévin. Je n'osais pas. Les orbites profonds et sombres de madame Socko m'impressionnaient.

- Il n'est pas venu me voir, répéta-t-elle.

- Lorsqu'il est venu dans la région il y a quelques semaines ? demanda Kévin. La mère continua à me fixer.

- Oui. – A moi. – Vous ressemblez à un gamin qui était dans la classe de mon fils.

- Jules Fergusson Madame, je suis sa sœur.

- Plus jeune ?

Elle lisait en moi. Son regard m'intimait de dire la vérité. Je ne pourrai rien lui cacher et elle le savait. Ces questions étaient une prise de température.

- Oui Madame.

- Il est venu ce suceur d'eskimo et il n'est pas passé me voir. Sa propre mère.

Elle se pencha vers Kévin et du coin de l'œil je vis la gardienne esquisser un geste. Je me suis tendue. La mère de Danny fixa Kévin un moment.

- Vous voulez voir ma chambre ?

Elle tourna ses genoux vers nous. Nous perçûmes tous ce geste comme une menace.

- Madame Socko, nous sommes là pour votre fils.

- Il n'est pas venu me voir alors qu'il est allé la voir elle.

- Qui ?

- Une femme est venue ici. Elle a dit que mon fils lui avait volé des documents. Qu'il était entré par effraction chez elle.

- Quelle femme ?

- Il n'est pas venu voir sa mère. Je suis sa mère quand même. Elle c'est une psy, il y en d'autres. Moi je suis la seule.

- Madame Socko.

- Appelez-moi Bianca.

- Bianca...

- Vous voulez savoir pourquoi je suis là ?

Un silence glacial suivit sa question. Je n'y tenais pas.

- Nous souhaiterions que vous nous disiez pourquoi selon vous votre fils est un assassin.

- Venez dans ma chambre.

Elle ne nous regardait plus. Sur le ton de l'aveu, elle poursuivit :

- Il y a longtemps que je ne reçois plus.

- Nom de Dieu, soupira le gardien. Bianca hurla :

- TU NE PRONONCERAS PAS SON NOM EN VAIN !

Le gardien banda ses muscles et s'avança, la femme l'imita, je levai un bras :

- S'il vous plaît !

Les membres du personnel hospitalier et la détenue semblaient surpris que je prenne sa défense. Ils reculèrent.

- Bianca, qu'est-ce qu'il y a dans votre chambre ?

Elle se tourna vers le gardien :

- Toi le suceur de bites congestionné, va me chercher ma boîte à chaussure.

Le gardien me regarda. Je ne savais pas quoi faire. Mon regard tendait à lui signifier que j'apprécierais qu'il prenne sur lui l'insulte de la folle. Lorsqu'il eut quitté la pièce, madame Socko se pencha vers nous. Ses yeux allaient de Kévin à moi.

- L'homosexualité est un péché mortel. Mon fils ira en enfer et pas à cause des meurtres mais parce que c'est d'abord un pédéraste. On a tout fait pour qu'il s'arrête. Mon mari, le pasteur, est un martyr. Il a tellement fait le bien autour de lui. Pour le tenter, Job fut le premier, pour le tenter, le diable a fait de notre petit un être de péché. Rien n'a pu y faire quoi que ce soit.

Kévin et moi nous redressâmes lentement. La chambre de Bianca ne devait pas être loin car le gardien revenait déjà avec la boîte à chaussures. Bianca se rongea un ongle tandis qu'il la posait sur la table. Elle se mit à chantonner un air que je n'ai pas su reconnaître. Ses lèvres pincées s'étirèrent lorsqu'elle ouvrit la boîte. Elle sortit une feuille à petits carreaux et la déplia. Elle était couverte d'un texte raturé à de nombreuses reprises.

- Un jour, j'ai fouillé sa chambre et j'ai brûlé tout ce qui pouvait avoir un rapport avec ses erreurs de la nature et j'ai trouvé ce texte.

- Pourquoi l'avoir gardé ?

- Lisez. Il l'avait jeté dans sa poubelle mais sa maman vidait encore sa poubelle. C'est un ticket en enfer pour ce chien. 

Avenue MercedesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant