143

14 2 0
                                    

143.

Lundi 8 mars 2021. Boulevard Malesherbes, Paris, puis trajet jusqu'à Bordeaux.

Dès son retour à son appartement, Danny prend un billet pour Bordeaux. TGV n°7669 de 16h08. Il masse son cuir chevelu à l'endroit où Lola lui a tiré les cheveux. Si le serveur lui en avait laissé le temps, elle lui aurait mis une droite.

Dans la rame de la ligne 13 en direction de Montparnasse, un sac à dos sur l'épaule, Danny observe les passagers concentrés sur leur téléphone et leur messagerie, leur musique ou leur livre, évitant du regard les mendiants qui entrent et débitent leur texte d'une voix abîmée.

Le suicide de Jules corrobore ce qu'il disait. Il faudrait juste être en mesure de prouver que Jules était ou aurait pu être à Paris pour le meurtre d'Olympe.

Dans le train il a cette même perdition pensive que dans le métro. Les passagers. Les gens. Cette fascination des autres à travers leur observation lui était venue de Matteo. Enfants, ils quittaient parfois le collège pendant leurs heures de permanence et se rendaient dans le parc de la mairie à quelques centaines de mètres de là. La mairie était un point central du village de Léognan. Il y avait beaucoup de passages devant le bâtiment. Lorsqu'ils en avaient assez, ils couraient jusqu'à l'église en longeant le stade de foot, sautant par-dessus les flaques laissées par la glace fondue des bacs vidés par les poissonniers le jour du marché. Puis ils zonaient devant le monument aux morts du village. Ils regardaient à chaque fois si leurs noms de famille y figuraient dans l'espoir qu'un oubli fût comblé depuis la dernière visite.

Ils étaient devenus journaliste et écrivain, résidus de leur penchant d'observateurs imberbes. Matteo débordait d'imagination ces après-midis-là. Il racontait les histoires fantasmées des habitants. Il faisait hurler de rire Danny jusqu'à le faire pleurer et pendant que ce dernier tentait de reprendre son souffle, Matteo, pour relancer le fou rire de son copain, grimaçait, imitant les personnages de ses histoires, ou répétait un mot ou une phrase qui avait fait exploser Danny de rire.

Matteo avait toujours voulu plaire.

Est-ce parce qu'il est encore amoureux de lui qu'il le protège en essayant de l'innocenter devant la police ? La réponse est évidente.

Arrivé à la Gare Saint-Jean, il commande un Uber qui l'amène au centre-ville. Son hôtel est situé place Camille Jullian, face au Cinéma Utopia où il avait l'habitude d'aller durant ses années de fac. Les étés, il servait dans un des bars de la place.

Il pose sa valise au pied de son lit et s'y laisse choir. Le lendemain il se rendra à l'école primaire.

Il ne l'avait pas dit à Lola mais enfant, Matteo manquait souvent l'école. Ce n'était pas tant la fréquence que la durée des absences qui était curieuse, sinon alarmante. A son retour, Matteo ne racontait jamais à personne la raison de son absence et si une autre était prévue. A chaque fois que Danny l'avait interrogé à l'époque, le garçon avait changé de sujet. Danny ne l'avait pas vu de toute l'année du CM1. Où avait-il été ? Qu'avait fait Matteo pendant toute une année ? C'était une question à laquelle il devait trouver une réponse.

Il hésite à appeler Matteo. Il est étendu dans le lit, pense à lui. Il voudrait entendre sa voix. Sa voix grave. Il voudrait pouvoir l'imaginer contre lui. Toucher son corps. Il avait failli l'embrasser une fois, au lycée. Ils marchaient en queue de peloton de la classe, de retour d'une sortie à la médiathèque. Danny avait même cru qu'il pourrait lui prendre la main. Mais il n'avait rien osé faire.

Le lendemain donc, visite de l'école primaire. Ensuite, Danny irait voir la mère et le frère de Matteo. Enfin, il irait voir sa propre mère. Peut-être.

Avenue MercedesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant