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123.

Suite

Sur le parking face à l'église, Laura fixe un point à travers le pare-brise. Jules attend. Il ne la trouve pas si laide.

- Tu veux une bière ?

Elle lève un sourcil mais acquiesce. Il attrape deux bouteilles en se demandant combien il en avait acheté. Il les ouvre et lui tend la sienne. Il n'ose rien dire. Elle boit. La première gorgée est difficile à avaler. Elle s'essuie les lèvres avec la manche de sa veste.

- Tu es mon premier copain Jules.

Cette phrase lui serre la gorge. Jules se rappelle le soir où Laura lui avait dit ça pour la première fois. Il était tourné vers elle, accoudé sur le volant de la BMW de son père. Elle lui avait dit juste pour le prévenir. Sur le parking d'un cinéma Méga CGR. Il avait laissé un temps avant de dire :

- Mes parents et ma sœur ne sont pas là ce soir...

Il avait laissé mourir une phrase bourrée de désir et dans ses yeux à elle, ses immenses yeux bleus, il avait lu un oui.

- Tu te rends comptes ? Mon premier amour. Je ne connaissais rien à ton milieu, celui de tes parents, producteurs de musique... Je vivais avec des chevaux, je ne connaissais que les écuries, les haras et le lycée et toi. T'étais mon prince. Tu dois me trouver stupide. Mais t'imagine même pas ce que j'ai pu vivre, ce que j'ai pu être heureuse avec toi. Toute cette année de terminale. C'est la plus belle année de ma vie jusqu'à cette soirée.

- Moi aussi, parvient-il à murmurer.

- Toi aussi ? Lève la tête Jules, regarde-moi, Jules – il lève la tête, serre les lèvres et contracte les mâchoires pour ne pas sangloter. – Alors pourquoi ? Pourquoi tu nous as fait ça ?

Il ne dit rien.

- Jules, qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi tu viens maintenant ? Pourquoi maintenant ? Douze ans après.

- Je viens pour Gersande.

- Non, tu viens pour autre chose. Dis-moi.

- Je ne peux pas.

- Je ne comprends pas, dit-elle les larmes aux yeux.

- C'est normal, soupire-t-il en laissant sa tête tomber en arrière.

- Allez, y a prescription maintenant. Tu m'as tellement fait souffrir, je peux tout encaisser.

Jules s'énerve brusquement, Laura est tétanisée.

- De quoi tu as tellement souffert ? Tu ne sais pas ce que c'est souffrir ! Toi c'est ton amour propre, ton amour propre c'est tout, tu as senti quoi ? La trahison, la honte, mais quelques semaines après, mois, merde, années à la rigueur, t'oublies, tu vis bien là ? T'es bien là ?

Elle pleure et crie à son tour :

- Non je ne suis pas bien. Tu as gâché ma vie !

- Moi c'est dans ma chair que j'ai souffert ! Moi j'ai eu une vie brisée, crie-t-il. Sa voix commence à s'éteindre comme si elle se cassait. Son corps lui impose de se taire.

- Putain Jules ! Dis ce que tu as à dire ou je sors de cette voiture !

Il murmure.

- Je suis tellement désolé, pardon, je ne m'en sors pas.

Laura secoue la tête.

- Tu ne peux pas faire ça Jules. Me crier dessus puis pleurnicher et me crier dessus encore.

Jules sort de la poche intérieure de sa veste son enveloppe :

- Raconte-moi la soirée dans les détails comme la déposition que tu as faite aux flics après la mort de Manon et lit la lettre s'il te plaît.

Quelque chose dans son regard pousse Laura à s'exécuter. Elle prend la lettre de Jules et la pose sur sa cuisse :

- Je n'ai rien à te donner comme informations. Je suis restée longtemps au bord de la piscine. Je t'ai cherché, je t'ai trouvé et – Elle accélère. – la fête a continué pour les autres. J'ai voulu aller dans l'eau, et puis je me suis saoulée et je me suis endormie sur une chaise longue sous une vingtaine de serviettes de bains que les gens s'étaient amusés à me mettre les unes sur les autres. C'est un policier qui m'a réveillée. Et j'ai découvert ce qu'il s'était passé ensuite.

Elle se tait. Elle le regarde pour savoir si ce qu'elle a dit le satisfait. La pluie tombe drue maintenant. Le martèlement de la pluie sur la toiture résonne dans l'habitacle. Jules ne bouge pas, penché en avant, les coudes sur ses cuisses, son front contre le volant.

- Tu t'attendais à quoi ? Je n'ai rien gardé pour moi pendant le déposition.

- Je ne sais pas, soupire-t-il. Je ne sais pas ce que j'espérais.

Laura hésite et finit par prendre l'enveloppe. Elle l'ouvre, déplie le papier de la lettre et ses yeux parcourent les lignes. Son cœur bat dans son corps entier.

Elle lit vite. Elle pose une main d'abord contre sa poitrine, puis sur sa gorge, sa joue et, enfin, sur sa bouche pour réprimer un cri d'horreur.

Désormais, elle sait. 

Avenue MercedesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant