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180.

Reconstitution de la soirée du 22 août 2009.

Pour l'ouvrage AVENUE MERCEDES

d'après un texte de DANNY SOCKO

Je pose ma main sur celle de Matteo. Il vient de forcer le barrage des gosses en bas de chez Jules. Manon m'a vu faire. Matteo l'intéresse, les contacts physiques qui le concernent ne lui échappent pas.

Je compte sur cette soirée pour annoncer à Matteo que je suis amoureux de lui depuis le début, qu'il a besoin de moi, que je n'envisage pas ma vie sans lui. Matteo est ma moitié.

S'il accepte même juste un baiser, un « peut-être » j'avouerai au monde, à tous, mon homosexualité. C'est même pas une homosexualité, c'est une Matteosexualité. Je ne pense qu'à lui, une obsession.

Matteo, Matteo, Matteo, c'est Matteo à toutes les sauces et la sauce je compte bien la lui faire monter. Oh oui ! Son odeur, son souffle, ses mots, je veux tout posséder. Le tenir et sentir ses muscles contre moi.

Mes parents m'ont frappé, brûlé, m'ont sermonné et c'était sans doute ça le plus douloureux. Ils mettaient en cause, remettaient en cause ma religion, ma foi en Dieu, et ils avaient raison. Il ne peut pas me haïr pour ce que je suis ni pour Matteo, et s'Il ne me reconnaît plus c'est que je n'ai plus à croire en Lui.

Matteo stationne la voiture dans le jardin. Les gens nous regardent tous, les phares jaunes, un break, un BMX coincé sous l'avant de la voiture, c'est une scène saisissante. Je sors de la voiture et lance :

- Oh mince ! Matteo, je crois que tu as écrasé un de ces charmants gamins qui nous attendaient en bas de la route !

Il regarde notre public, pose ses mains sur sa tête.

- Ah bon ! Mais je n'ai pas bien compris ce qu'ils voulaient !

Nous continuons notre scène et Manon va voir ses amies. Laura arrive, elle prend d'assaut Matteo. Pas un regard pour moi.

Derrière elle, la future Dunia Saad, conceptuellement parlant. Ils ont un coup de foudre à ce moment précis. Le genre d'éclair qui fout le feu à une vie. Je le vois, on le sent, tous l'ont senti et c'était beau et son regard à lui était exactement le regard dont j'aurais rêvé.

J'étais vraiment dans le dur, à me demander comment j'allais m'en sortir, comment dire à Matteo ce que j'éprouvais pour lui et surtout, si je pouvais toujours le lui dire ? Manon est venue me voir :

- Je peux savoir ce que ça voulait dire ta main posée sur la sienne ?

- Ta gueule Manon.

- T'es un suceur de queue ?

- Et toi, t'es quoi ?

- Mais moi c'est normal, se moque-t-elle.

- Casse-toi.

Dans ma tête, en boucle : Il faut que je parle à Matteo, qu'il sache, même si c'est mort, faut pas que je parte sans le lui dire. Je le cherche, il n'est dans aucune des pièces du rez-de-chaussée. Je monte à l'étage. J'ouvre les portes et vision d'horreur, Dunia et Matteo s'embrassent dans une des chambres. Je referme vite. Ils ne m'ont pas vu.

Cette musique dans la maison, Running up... c'est mon Beethoven d'Orange Mécanique, une musique associée à l'indicible. Un morceau que je ne pourrai plus jamais écouter.

Je sors dans la nuit et je vois Manon, avec une bombe de peinture. Elle tague en noir PD partout sur la voiture de Matteo. J'ai envie de la gifler. Je vois Laura saoule, endormie sur un transat au bord de la piscine et des mecs rigolent, ils lui touchent les seins, se prennent en photos en train de lui lécher les tétons qu'ils découvrent en tirant sur sa robe.

Je sais que Jules est en haut avec cette salope de Beretta. Elle s'appelle comme les flingues. Tire ton coup.

J'ai vraiment les tripes secouées. Je vais pas bien. On s'est foutu de moi. Je vais dans la cuisine, je vais...

Je sais pas, il n'y a personne, je prends un putain de couteau de boucher, faut que je donne des coups, que je le sente s'enfoncer dans un truc.

Je pars, quitte la fête à pieds, entends la musique diminuer en m'éloignant. Je veux être loin. J'aurais voulu déchiqueter sa voiture.

Je vais taper dans du bois. Je marche sur le bas-côté de la route, les phares d'une voiture passent sur moi. Je m'enfonce dans la forêt. Je titube, j'ai bu, je m'ouvre la voie dans la forêt avec ma « machette ». Je fends l'air et coupe les ronces et les fougères. Ça me calme. Et je finis par m'essouffler et pleurer et m'asseoir parce que je n'en peux plus de ma vie.

Je suis assis contre le tronc d'un arbre. J'aimerais qu'il me cherche. Peut-être qu'il s'inquiète de ne pas me voir ?

Il a peut-être vu la voiture, les tags. Me chercher...

Il doit me chercher. S'il me trouve, je saurais. Je dois...

Il doit venir me chercher et il me comprendra et me pardonnera. J'ai rien fait, de quoi me pardonner ? Je...

Je déçois mes parents. Manon pourrait le dire aux autres. Je leur ferai honte.

Un orage tonne. L'image de mes parents me terrorise. Ils me tortureraient à nouveau.

La pluie, je la sens avant de la sentir sur moi. J'entends des pas, une course. Je me lève et me cache. Matteo ?

Mais elle arrive, en pleurs, perdue, Manon. Elle me voit avec le couteau. Son rimmel a coulé sur ses joues. Cette conne de Manon. Un bout de viande, toute ma haine des femmes dans sa personne, sa tête, ses seins, son ventre, son vagin. Elle me donne des démangeaisons. Au moment où elle ouvre la bouche pour hurler je la perfore.

Tu veux hurler ? Tu... Vas-y, hurle !

Avenue MercedesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant