PARTIE 1 Gersande Hellker

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1.

GERSANDE

Journal corrigé, vendredi 22 janvier 2021

On ne veut jamais perdre ce que l'on a durement obtenu à cause d'un simple accident. Cela peut concerner un accident de la route où un jeune enfant serait tué par sa propre faute. Un accident qu'on ne peut pas déclarer à la police parce que l'on n'est pas censé être là. Alors on cache le corps, une enquête démarre et toute votre vie que vous avez consacrée à construire une situation, pour vous élever de celle qui était la vôtre au départ, est en péril. Ce genre de fait divers me fascine, il y en a plein les journaux. Mais un accident peut être un accident de parcours, un coup de sang, un coup de folie. Une mauvaise décision que l'on pourrait regretter toute une vie.

Quand je suis arrivée au lycée de Passy, on m'avait dit : les légendes du lycée de Saint-Jean de Passy naissent dans les vestiaires de la piscine Henry de Montherlant. Une réputation peut y naître. Une porte mal fermée et ce sont 100 000 vues sur Youtube.

Je suis en petite culotte. C'est l'occasion ou jamais de devenir une légende.

Antoine va entrer dans quelques secondes dans le vestiaire. Il aura vu que je ne suis pas dehors avec les autres et il viendra me chercher. J'examine les marques sur mon corps face à l'immense glace. Trois autres filles et leur chef de meute, Julie Roi, finissent de s'habiller. J'ai coiffé mes cheveux blonds en arrière. Ils sont encore mouillés. Je sens les gouttes d'eau couler dans mon dos. Je juge mes tétons trop gros pour mes petits seins. Dix-sept ans et je ne me trouve pas terminée. Julie agrafe son soutien-gorge :

- C'est lui qui te fait ça ou t'es pas douée dans les escaliers ?

Les autres pouffent.

- Lui ou un autre, on peut pas savoir, faudrait tenir les comptes, se moque Julie.

Sur ma cuisse je caresse le plus gros des bleus qui ne veut pas partir. J'enfile mon pantalon en faisant attention à ne pas le toucher. J'expire d'un coup. Je ne m'étais pas rendu compte que je retenais ma respiration. Julie se lève et admire dans la glace le bronzage de ses vacances au ski passées à ne pas skier. Elle insiste en mettant son rouge à lèvres :

- Tu réponds jamais quand on te parle ?

Les autres sont prêtes, elles n'attendent qu'un signe de Julie.

- Tu aurais intérêt à être sympa avec les filles qui sont sympas avec toi, comme moi. On peut vite devenir un enfer et tu retrouverais la vie pourrie de ton ancien lycée. C'est pour toi que je dis ça.

Antoine va entrer et les faire sortir. J'ignore Julie, je poursuis l'auscultation de mes épaules et de mes bras. On frappe à la porte du vestiaire. Antoine.

Les filles qui attendent Julie prennent leurs sacs d'un même mouvement, comme des clones coordonnées. Julie se tourne vers la porte au moment où elle est ouverte. Antoine entre.

- C'est la troisième fois que je frappe.

- C'est pas une raison pour entrer. Vous auriez pu nous surprendre nues, rétorque Julie. Elle enfile un pull. Je suis dos à eux, je me débats avec mon T-shirt à cause de mon bras qui me fait encore mal.

- Tu ne devrais pas être nue après tout ce temps. On va être en retard. L'autre classe est prête, répond Antoine sans hausser le ton. Julie met son manteau, attrape son sac ouvert sur le banc et passe devant lui sans un regard. Ses trois caniches la suivent la tête baissée.

Monsieur Mallet, comme je dois l'appeler devant les autres, attend de les voir quitter le couloir. Il entre à nouveau dans le vestiaire et ferme la porte derrière lui. Un prof de sport qui s'enferme avec une élève mineure et mignonne peut être un accident. 

Avenue MercedesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant