Avenue Mercedes

91

91.

Mardi 2 mars 2021. Fin d'après-midi.

Lola sonne au 177 Boulevard Malesherbes. L'interphone grésille.

- Oui ?

- Police.

- Entre chérie.

Danny est en robe de chambre. Lola se tient contre le plan de cuisine à côté de la bouilloire. Elle observe autour d'elle.

- Rappelle-moi comment tu gagnes ta vie ?

Danny sourit.

- Pourquoi ? Ça paie consultant pour la police ?

Danny rit. Il fait sa Diva, pense Lola. Il se fait désirer. Elle ne sait pas s'il est au courant de la découverte du corps de Valentine. Danny verse l'eau bouillante dans les deux tasses. Les sachets de thé se mettent à flotter.

- Ça m'a toujours agacé que le sachet flotte. J'ai l'impression que le thé ne se diffuse pas normalement. Je devrais m'acheter des boules en métal. Littéralement.

Lola ne réagit pas à sa blague.

- Salon ? propose-t-il. L'appartement de Danny est vide. Un canapé et un nombre incalculable de photos encadrées de toutes les tailles. Les cadres sont tous en bois, certains sont accrochés aux murs, la majorité d'entre eux sont au sol, posés contre les murs. Ils s'assoient sur le canapé.

- Pourquoi es-tu là ? demande-t-il pour la forme.

- Elle comptait partir avec Matteo. Il n'a pas d'alibi. Il exerçait une influence non négligeable sur elle.

Il souffle sur son thé et demande calmement :

- Mais pourquoi la police s'acharne-t-elle à trouver une gamine partie avec son amoureux ? Ou, en l'occurrence, cachée par lui ?

- Elle est mineure.

- Et ses parents ?

- Sa mère a été menacée par son époux, le sénateur.

Elle devrait utiliser le conditionnel mais elle le sait attiré par les scoops un peu violents.

- Menacée de quoi ?

- Il a parlé de la faire kidnapper contre une rançon. Sa femme refusait de payer ses dettes de jeux.

- Et le sénateur se défend comment ?

- Jules va lui rendre visite au Palais Bourbon.

- Comment va ton frère justement ?

- Bien, je crois. Je ne comprends pas pourquoi le commissaire s'inquiétait. Il fait preuve d'un total self-control jusqu'à présent.

- Du coup je ne comprends pas trop. C'est le sénateur ou Matteo, le kidnappeur ?

Lola marque un temps. Puis elle dit :

- C'est moi qui ne comprends plus.

- De quoi chérie ?

Danny souffle une nouvelle fois sur son thé. Elle lui demande alors :

- Tu te fiches de ce que Matteo a pu faire ? Ou tu te fiches de ce qui pourrait arriver si les journalistes ont vent de l'histoire ? Sa vie serait détruite. Sa carrière brisée.

- Parce qu'une groupie a disparu ?

- Parce qu'on vient de trouver une de ses anciennes petites-amies dans un lac en recherchant la groupie mineure avec qui il avait des rendez-vous réguliers.

Elle a répondu du tac au tac. Danny pose sa tasse au sol sans quitter Lola du regard. Il s'assoit en tailleur.

- Répète mais plus lentement et avec plus de détails.

- Hier après-midi nous avons trouvé le corps d'une jeune femme, Valentine Lucas, dans le lac du Bois de Boulogne. Matteo est suspect. Dès qu'il y aura un semblant de preuve contre lui, il sera mis en examen. Il est en danger je te dis.

- Pourquoi tu veux l'aider ? demande Danny.

- Je ne veux pas l'aider. Je veux faire avancer l'enquête, que tu m'aides officieusement. Juste des conseils. Des interprétations qui pourraient m'échapper. Tu ne participerais pas vraiment à l'enquête. Ce ne serait pas de l'investigation dans le sens où tu ne serais pas là en tant que journaliste.

- Ton frère va s'y opposer.

- Et évidemment tu n'auras pas le droit de révéler quoi que ce soit avant la fin de l'enquête. Jules n'aura pas son mot à dire dans ces conditions.

Danny reprend la tasse.

- Je ne veux pas t'aider. Ma psy me tuerait. Revenir vers Matteo, chercher à fouiller dans sa vie... trop dangereux pour moi.

Lola insiste :

- Allez, arrête de te faire désirer. Je sais que ça t'intéresse, je sais que tu as envie de découvrir la vérité.

Danny secoue la tête, il avale sa gorgée.

- Détrompe-toi. Je ne veux vraiment pas être mêlé à tout ça.

- Tu étais proche de Matteo en 2014 ?

Danny prend quelques secondes.

- Non. Mais j'ai suivi l'affaire de Valentine Lucas. J'étais en dernière année à Science Po. J'ai traîné un peu dans les locaux de Radio Campus cette année-là et le hasard a fait que je l'avais un peu connue.

Ils se taisent. Danny reprend :

- Tu sais qu'il a perdu son père juste avant la disparition de Valentine ?

- Oui.

- Et bien j'étais à l'enterrement.

Lola sort son carnet. Danny la regarde. Elle sait que ce geste le flatte.

- Je m'en souviendrai longtemps. J'étais à Bordeaux pour voir ma mère. Matteo m'a aperçu pendant la mise en terre. Nos regards se sont croisés mais il n'est pas venu me voir et je n'ai pas osé m'approcher. Il y avait peu de monde à cet enterrement. La famille des Raphaelli avait beaucoup souffert de la mort de la petite Manon. Ils avaient perdu beaucoup d'amis au fur et à mesure des années.

- Manon Rivière ? La petite amie de Victor, le jeune frère de Matteo ?

Danny acquiesce et boit.

- Comment est-elle morte ?

Danny l'observe un moment.

- Tu ne sais pas ça ? La soirée, le cadavre ?

Lola rougit.

- Jules non plus ? Vous ne savez pas ?

Puis il se reprend.

- Bien sûr que vous le savez, suis-je bête. Je n'en ai jamais parlé parce que je ne voulais pas te mettre mal à l'aise... Vous connaissez toute l'histoire puisque c'était chez vous chérie. Il y a un peu plus de dix ans. Le temps passe vite. T'étais peut-être en vacances avec tes parents. Mais Jules y était à cette soirée.