55.
Lundi 1er mars 2021. 13h30. Allée des Cygnes.
Toutes les pistes avaient été notées, les fausses bonnes idées, les plus évidentes aux plus fragiles, tout avait été mentionné. Les lignes avaient toutes été lancées. On surveillait toujours hôpitaux, gares, aéroports, aires de repos, péages autoroutiers. Le signalement de Gersande avait été largement communiqué.
Jules ne tient plus dans les bureaux. Lola reste pour lui. Il va voir la première équipe de recherches.
Jules fait arrêter Milo au milieu du pont Bir-Hakeim. Il descend les marches menant à l'allée des cygnes.
Il connait bien les lieux. L'été, c'est un bel endroit boisé et frais, grâce au fleuve qui coule de part et d'autre de l'île, alors que le reste de la ville est asphyxié par la chaleur.
L'hiver en revanche, c'est une bande de boue, de l'herbe morte, des arbres dénudés et noueux et les berges en pierres sont couvertes d'une mousse déprimante grise et verdâtre.
Il marche sur une centaine de mètres pour rejoindre l'équipe des plongeurs installée sur un petit ponton gonflable en bas des escaliers creusés dans la berge. D'en haut, depuis la barrière qui bloque l'accès aux promeneurs, un commandant responsable de l'équipe armé d'un talkie-walkie surveille l'installation et le déroulement des opérations. L'homme porte une moustache fournie. On le surnomme Magnum. La visière de casquette du Paris-Saint-Germain dépasse de la capuche de sa parka Canada Goose. Il se tourne et voit Jules. Les deux hommes se sont déjà rencontrés à plusieurs reprises. Le Commandant pose un doigt sur la visière de sa casquette en guise de salut.
- Il neige, dit-il.
- Il neige pas, c'est des courants d'air humide et froid qui se coltinent la pollution. C'est de la pollution condensée, répond Jules.
- Ça caille quand même à mort.
Jules reste derrière la barrière, les mains dans les poches, à regarder faire les techniciens.
Trois zodiacs Cronos à deux moteurs servent de point d'appui aux plongeurs avec leurs sonars. Le gros des équipes se trouve sur les quais de l'avenue Kennedy, deux à trois cents mètres en amont.
La brigade des plongeurs a lancé dans l'eau une nouvelle génération de robots-chercheurs. Ils explorent les fonds de la Seine sur plusieurs kilomètres en aval.
Jules frissonne. Le froid est passé sous ses vêtements. Il tourne la tête vers la Maison de la Radio et ses grandes affiches offrant à Paris le visage de ses journalistes vedettes. Il part s'asseoir sur les marches qui joignent l'allée au Pont Bir Hakeim. Si elle a du neuf, Lola appellera.
Mais Jules n'aime pas attendre. A peine assis, il se relève brusquement. Il passe de nombreux coups de fil, monte les escaliers, les descend. Il est nerveux et Milo, depuis le confort de la Berline voit de suite que le type fait partie d'une frange très spéciale de la police. Les fous. Il connaît Jules Fergusson au travers les histoires de son père. Jules est incontrôlable, ça se lit dans son regard. Il gère plusieurs affaires en même temps et jamais les choses ne vont assez vite pour lui. Ce type va causer des problèmes. Milo se dit maintenant que son père l'a désigné pour être son baby-sitter.
A 14h, les plongeurs remontent.
- Alors ? demande Jules. En passant devant lui, le commandant ne prend pas la peine de s'arrêter.
- On laisse les robots chercher plus bas. Il n'y a pas de corps dans la zone.
Jules reste un instant à scruter la Seine. Les hommes avaient fouillé du pont Bir-Hakeim au Pont de Grenelle. Ils avaient fait au plus vite et au plus efficace. Mais il faudrait plusieurs jours de fouilles en aval et en amont, dans les zones inaccessibles aux robots. Imaginer que le kidnappeur-tueur aurait pu mettre la gamine dans une voiture pour la jeter des kilomètres plus haut ou plus bas n'est pas difficile pour Jules. Sans compter qu'on peut aussi prendre sa voiture pour aller l'enterrer en banlieue. Il y a plein de solutions pour faire disparaître un corps. Ce qu'il faut c'est chasser les gens impliqués. Il appelle Lola.
- Où ça en est ?
- Pour Raphaelli, rien pour l'instant. Il ne prend pas au sérieux l'histoire. Il ne se sent pas concerné j'ai l'impression. Il m'a parlé de ses livres et de la mère de Gersande. Je suis rentrée et j'ai les résultats des recherches qu'on a lancées ce matin.
- Donc ?
- Rien dans les gares ni dans les aéroports, ni sur les caméras des transports en commun. J'ai appelé les sociétés de taxis, pas de client avenue Mercedes sur la tranche horaire qui nous intéresse. Peut-être Uber mais je n'ai pas de réponse. Je ne sais pas qui contacter, ils ont l'air complètement perdus. Toujours rien avec le labo. Je pense qu'ils attendent de se faire remonter les bretelles par le préfet. Je dois contacter quelqu'un.
- Un témoin ?
- D'une certaine manière. On en reparle, il faut que je file, bisous.
Elle raccroche. Magnum interpelle Jules.
- Lieutenant, on va au bois de Boulogne, tu prends ta limousine ou tu viens avec nous ?
Des éclats de rire suivent l'invitation. Jules saisit la porte de la dernière des camionnettes avant qu'elle ne se referme. Il fait signe à Milo qui lui répond d'un appel de phares. Jules claque la porte derrière lui :
- Bougez vos culs mouillés et laissez la place à un vrai flic.
La file indienne des véhicules des équipes de recherche longe la Seine jusqu'au pont d'Iéna puis remonte sur Passy par le boulevard Delessert et prend la direction de la place du Trocadéro. Elle traverse le 16earrondissement par l'avenue Georges Mandel. Magnum vient d'avaler son sandwich.
- Va falloir tracer parce que la nuit tombe tôt. On a jusqu'à 18h pour faire le boulot. Après ce sera la nuit.
Jules consulte sa montre. Un peu plus de 15h. Il espère que Gersande n'est pas au fond du lac.
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Avenue Mercedes
Mystery / ThrillerGersande Hellker, 17 ans, disparait en pleine nuit dans un des quartiers les plus huppés de Paris. Le principal suspect est un jeune auteur célébré pour deux romans d'amour où chacune des femmes de sa vie se reconnait. A-t-il supprimé sa nouvelle...