1. Sa luciole.

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« Le jour commence et le meilleur est déjà pris. »

-Philippe Delerme, La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules

···

Pierre. Milan.

Un bruit strident puis un grognement sourd se firent entendre dans la chambre alors plongée dans le noir complet.
10 janvier. 04h50. Décidément pas une heure pour sortir de son lit et se préparer à affronter le froid hivernal. Pierre tapa donc de son poing sur le réveil et enfonça sa tête dans son oreiller. Ses paupières se refermèrent. Morphée l'appelait, et il était si séduisant à cet instant. Il se sentait partir, son cerveau plongeait vers l'inconscient, lui laissant voir des images agréables qui lui donnaient l'impression d'être au soleil, dans un lieu chatoyant et accueillant. Il y était bien, si bien, tellement bien que...

05h00. Deuxième sonnerie stridente. Le jeune homme ne se connaissait que trop bien. Il soupira, éteint le réveil une seconde fois, ébouriffa ses cheveux, légèrement trop longs à son goût, et se leva après un long étirement de ses bras, accompagné d'un large bâillement qui semblait ne plus finir.
Pierre poussa la porte de la salle de bains en évoluant toujours dans le noir. Il enfila rapidement un jogging qui traînait sur le rebord de la baignoire ainsi qu'une veste bien chaude avant de se pencher sur le lavabo.
Nouveau soupir. Il laissa couler l'eau quelques secondes avant de passer ses mains à travers le liquide froid et de se le jeter à la figure, rituel indispensable pour se réveiller. Il posa finalement ses mains de par et d'autre de l'évier, fixant son regard face au miroir. Grâce à la lumière artificielle des lampadaires extérieurs filtrée par les volets, il pouvait apercevoir son visage fatigué, marqué par les cernes et même, amaigri.
Pourtant, le dernier grand prix était loin et Pierre avait tenu à s'éloigner de la formule 1 quelques temps en se ressourçant auprès de sa famille. Mais son retour en Italie avait été synonyme de renvoi à sa petite routine et au stress lié à l'incertitude du début de saison très prochain.
Le jeune homme coupa le robinet pour se sortir de sa rêverie qui l'avait, comme souvent ces temps-ci, emmené un peu trop loin. Toujours dans la pénombre, il chaussa se baskets, mis un bonnet pour couvrir sa tête et partit dans le froid de la nuit italienne.

Les premiers mouvements furent horribles. Pierre avait mal partout. Il sentait son corps lourd et chacun de ses membres le faisait souffrir. Pourquoi s'infliger cela ? Pour son bien. Le jeune athlète savait que sa réussite reposait sur plusieurs facteurs et l'un des seuls qu'il pouvait contrôler se payait au prix d'une rigueur exemplaire dans son entraînement physique et sa nutrition. Il se devait de mettre toutes les chances de son côté.
Mais pourquoi s'infliger cela si tôt ? Bien que Pierre aimait la foule, l'idée qu'il ne pouvait jamais être seul, le pilote appréciait aussi beaucoup le fait de se retrouver dans ces moments. La course lui permettait de penser à énormément de choses pendant les quelques premiers kilomètres et puis, son subconscient prenait le dessus pour vider totalement son esprit. Ses sorties à la fraîche étaient salvatrices. Et l'horaire permettait de garantir que la ville encore endormie ne viendrait pas le déranger durant son entraînement.

Le français s'offrît alors une petite promenade touristique et profita du calme pour descendre la via Manzoni, admirer le théâtre puis s'arrêter quelques secondes devant le mythique duomo de Milan. Il reprit vite sa course pour traverser le centre historique qu'il appréciait tant et bifurquer en direction du parc de la basilique. Après un détour dans cet écrin de verdure, Pierre descendit vers les docks pour entendre le bruit apaisant de l'eau. Une fois au bord de la berge, il prit à nouveau un petit temps pour laisser le vent fouetter son visage. Il était bien réveillé. Prêt pour affronter une nouvelle année de préparation pour la saison qui s'annonçait. C'était la reprise de l'entraînement physique aujourd'hui. Dans quelques jours, il réintroduirait les séances de simulateur et de techniques à son quotidien ainsi que des réunions avec son équipe. Pierre était sur le bon chemin pour réaliser son rêve de toujours : devenir champion du monde de Formule 1. Il était conscient que ça ne se réaliserait pas cette année. Les performances de la voiture ne le lui permettraient pas. Mais l'objectif était de se faire remarquer, une fois de plus. La saison dernière était sans doute la plus régulière et la plus satisfaisante de sa carrière. Une étape de plus à franchir.

Le jeune homme prit quelques minutes de plus pour admirer la ville qui commençait à s'animer doucement. Des points lumineux naissaient les uns loin des autres. Bientôt, l'aube pointerait son nez, lançant ainsi le quotidien de toute la métropole milanaise.
Il grava cette image dans sa tête et reprit sa route, en commençant à effectuer le tour du plan d'eau. Il ferait ensuite demi-tour pour rentrer. Ça serait l'idéal pour une reprise en douceur.

Bien que ses muscles chauffaient, il lui semblait qu'ils étaient de plus en plus douloureux. Pierre avait pourtant toujours été sportif. Oui, il avait négligé la course à pied pendant ses congés. Mais il était resté très actif entre le ski, la randonnée, le foot entre copains... Que ce soit lors des fêtes de famille ou en vacances avec ses amis, le jeune français de 25 ans ramenait souvent toutes ses activités à la compétition. Après tout, c'était son esprit compétitif qui lui avait permis d'accéder au cercle très fermé des pilotes de F1. Et à celui encore plus fermé des pilotes français étant arrivé en tête d'un grand prix. Gagner, c'était toute sa vie. Sa raison d'être. Son but ultime. Celui pour lequel il s'était levé ce matin à l'aube, et pour lequel il se lèverait encore le lendemain. Il n'était pas seulement question de lui dans ce projet d'ailleurs. Pierre était bien conscient que c'était un dessein familial auquel tout le monde avait contribué. Autant ses parents, que ses grands-parents ou ses quatre grands frères. Il leur devait bien de se faire un peu mal.

Le jeune homme était dans ses pensées, admirant la ville qui se réveillait sous ses yeux. Et alors qu'il finissait son tour, une lumière en particulier attira son attention. À l'autre bout de l'étendue d'eau, il apercevait un petit faisceau de lumière qui s'agitait, de haut en bas, qui se déplaçait. Lui préférait toujours passé inaperçu, incognito dans la pénombre. Sinon, et à part les superbes paysages baignés du lever de soleil, quel était l'intérêt d'aller courir si tôt.
Pierre fut intrigué. Depuis tout petit, il disait qu'il était celui qui travaillait le plus, celui qui en voulait plus que les autres. Qui pouvait bien courir, dans ce froid, à cette heure si matinale ? Le pilote recommença alors un second tour en se lançant à la poursuite de cette lumière qui l'hypnotisait. Qu'est-ce qui lui prenait ? Il était en sueur, il était concentré dans son effort et ne réfléchissait plus. Il accélérait. Son nouvel objectif consistait simplement à rattraper cette petite lumière qui le narguait en restant à bonne distance. Elle lui échappait. Il accéléra une nouvelle fois, réduisant progressivement l'écart. Il pouvait distinguer au loin, une silhouette marquée par des vêtements moulants. Une jeune femme, sans doute, emmitouflée dans d'épaisses couches, un chignon qui avait souffert de l'effort et du vent surmontait sa tête. Pierre voulait tout donner pour découvrir qui se cachait derrière cette ombre. Son cerveau était éteint. Déconnecté. Ses jambes avançaient toutes seules. Il ne savait même pas pourquoi. Il en avait besoin, tout simplement. Ou alors c'était l'appât du gain, de se dire qu'il avait accompli un nouveau défi. Il accéléra encore. L'écart ne diminuait pas. Qu'est-ce qu'elle était forte ! Elle lui résistait. Elle semblait insaisissable.
Alors avant qu'il puisse l'atteindre, la lumière bifurqua pour longer le grand canal et rejoindre le sud-ouest de la ville. Pierre stoppa sa course à la bifurcation, essoufflé. Ses poumons brûlaient. Il avait l'impression d'avaler des flammes à chaque respiration. Les mains sur les genoux, il leva le regard pour voir sa luciole devenir de plus en plus petite jusqu'à sembler s'éteindre au loin. Et pourtant, d'une manière assez inexpliquée, elle avait toucher le pilote et raviver mille sensations chez lui.

···

Me revoilà avec une histoire bien différente de ce que j'ai pu écrire précédemment. Prochain chapitre jeudi... Je commence doucement pour le moment avec deux chapitres par semaine.

LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant