52. Un goût amer.

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« I don't want to give us any chance
You to love me
Me to love you
I want to struggle against feelings »

-Cats on trees, Burn

···

Aria. Paris.

La jeune femme exécuta le même rituel. Celui qui la tirait hors du lit tous les matins. C'était une habitude à laquelle elle se livrait maintenant sans vraiment y réfléchir. Elle ne savait même pas quel était le sentiment premier qui la motivait à agir ainsi. Evidemment, une fois que ses pieds foulaient le sol, elle adorait ce bien-être qui grandissait en elle, de se retrouver seule avec elle-même, libérée de ses pensées et du moindre de ses problèmes. Mais aujourd'hui, la course à pied avait une autre dimension. Elle lui avait tant apporté, une belle rencontre, elle ne pouvait pas le nier, et du bonheur. Mais elle lui avait tant pris. Sa dignité et son intimité.

Elle avait accepté ce rendez-vous parce qu'elle estimait qu'elle le devait bien à Pierre. Mais elle ne pouvait pas en faire plus. Elle avait expliqué à sa soeur que bien que le pilote et elle s'aimaient très fort, ils menaient des vies bien trop différentes pour s'aimer correctement sans se faire du mal. La petite fille avait religieusement écouté son aînée, émis quelques contradictions et s'était résignée en demandant si elle pouvait lui écrire une lettre pour lui dire au revoir si elle n'avait pas l'occasion de prononcer ces mots de vive voix.

C'est avec cette idée en tête qu'Aria se dirigea vers le point de rencontre habituel alors que les premiers rayons du soleil pointaient déjà à l'horizon. Une lueur d'espoir pour beaucoup alors qu'un nouveau jour se levait. Mais pour elle, c'était synonyme d'un renouveau. De la fin d'une histoire. Elle avait accepté de le revoir mais sa décision était prise. Et elle resterait intangible. C'était pour le bien de Nina et pour le sien. Et ça devait être sa priorité. Sa seule priorité.

Il était là, comme au premier jour, accoudé sur la barrière qui surplombait le canal. Il tourna la tête vers elle et la fixa. La jeune femme s'approcha alors de lui, le coeur lourd. De regrets. De tristesse. De culpabilité.

« On finit l'échauffement tranquillement ? demanda-t-elle sans trop savoir ce qu'il attendait de ce moment partagé.

- C'est toi qui décide, souffla Pierre. Ces mots avaient une autre signification et elle le savait. Alors qu'ils partaient tous les deux en petite foulée, elle se fit la réflexion qu'elle ne pouvait se permettre de garder le moindre ressentiment pour elle alors qu'ils allaient se quitter.

- Ne fais ça, s'il-te-plait...

- De quoi tu parles ? demanda-t-il.

- Non, rien. Tu as raison. C'est moi qui met un terme à cette relation. Je dois en assumer les conséquences, dit-elle en se regardant devant elle puis en accélérant.

- Ce n'est pas ce que je voulais dire, grommela-t-il en augmentant sa foulée pour tenir le rythme qu'elle imposait. Je comprends pourquoi tu le fais...

- Mais ?

- Mais, ce n'est pas pour autant que je l'accepte.

- Il va bien le falloir pourtant, lui fit-elle remarquer. Écoute Pierre, je te serai toujours reconnaissante de ce que tu as fait pour nous. Ces derniers mois n'ont pas été faciles et je ne pourrais jamais te remercier pour tout ça.

- Ne sous-estime pas ce que tu as fait pour moi. Elle leva les yeux au ciel. Tu m'as fait du bien, tu as compris tous mes petits problèmes, tu as accepté quand je voulais en parler et aussi quand je ne le voulais pas. Tu as vu le vrai Pierre, pas le pilote de Formule 1. Et ça c'était vraiment très agréable.

- Je... Je... Elle ne savait pas comment réagir. Ça avait été naturelle pour elle d'agir ainsi mais elle se sentait gênée que le pilote mette au même plan son comportement et les actions qu'il avait effectuées pour elle. Pour la maison, changea-t-elle de sujet.

- C'est la tienne Aria. Dès que tu pourras en assumer les frais du quotidien, tu me le diras et je ferai le nécessaire pour mettre les papiers à ton nom.

- Non Pierre, je ne peux pas accepter. Je n'aurai pas les moyens de te la racheter tout de suite, alors tu peux la garder ou la revendre... affirma-t-elle.

- Aria, je...

- Je pense que si on se dit adieu, le coupa-t-elle, ça serait mieux qu'on s'en tienne à nos vies de notre côté... Donc, c'est la meilleure chose à faire.

- C'est dommage, elle le regarda interloquée. Tu renonces à ta maison d'enfance, à ton héritage, simplement parce que tu m'en veux. Je sais que tu ne me pardonneras pas. Mais ne renonce pas à tes bons souvenirs à cause de moi. Tu le regretteras, affirma le châtain alors qu'elle se stoppait. Elle posa son regard sur lui, ses yeux bleus étaient profonds et terriblement blessés par son choix de tirer un trait sur lui.

- Je sais que tu n'y es pour rien, enfin pas directement. J'ai écouté tes messages sur mon répondeur. Et je ne t'en veux pas Pierre, avoua-t-elle difficilement. Je te pardonne même et j'espère que tu pourras aller de l'avant, vraiment. Tu es quelqu'un de...

- Ne me dis pas que je suis quelqu'un de bien et que je mérite le bonheur, la supplia-t-il en lui coupant la parole. Tu ne m'as jamais sorti des phrases aussi bateau.

- Je suis désolée. Tout ce que je veux dire, c'est que ça aura moins révéler une chose.

- Je sais ce que tu vas dire, la prévient le pilote.

- Alors tu es conscient qu'on ne vit pas dans le même monde. On a cru que ça pourrait marcher, mais ce n'est pas le cas. Je me devais de protéger Nina de tout ça et j'ai échoué. Je vais juste essayer de rattraper mon erreur.

- C'est encore la même chose. A chaque fois tu me repousses. Elle constata avec tristesse toute la peine qu'elle lui causait devant ses yeux qui se noyaient de larmes. Les siens ne tardèrent pas à se troubler également. Pourquoi tu pleures Aria ? C'est ce que tu veux non ?

- Ça ne veut pas dire que cela rend les choses plus faciles, répondit-elle en essayant les larmes qui coulaient sur ses joues.

- Laisse moi dire au revoir à Nina, la supplia-t-il. S'il-te-plait.

- Pierre... Je...

- Un aller-retour. Jusqu'au pont. Si je gagne, c'est tout ce que je demande avant de sortir de vos vies. Elle soupira. Elle n'avait jamais réussi à résister à ces yeux océans. Elle repensa aux demandes de sa soeur qui tenait elle aussi au jeune homme. Elle n'avait pas le droit de leur interdire de se dire au revoir.

- D'accord. Il sembla surpris qu'elle accepte aussi facilement. Tu annonces le départ ?

- Après le "partez" ? l'interrogea-t-il en se remémorant leur première course réglementée.

- Après le partez, confirma-t-elle. »

Elle donna tout ce qu'elle avait. Ses poumons la brûlaient. Ses jambes la tiraient. Mais elle continuait d'accélérer son rythme alors qu'elle prenait un léger avantage sur son concurrent direct. Ils étaient au coude à coude. Elle alla chercher au fond de ses tripes. Et elle cassa la ligne alors qu'elle savait qu'elle avait un court avantage sur le pilote. Mais cette fois-ci, elle n'avait pas le cœur à célébrer sa victoire. Elle avait un goût amer qui laissait Pierre triste et désemparé. Elle saisit alors sa main et l'invita à la suivre.

« Tu as le droit de lui dire au revoir, glissa-t-elle. Viens avec moi, ça lui fera plaisir de te voir... Mais...

- Je sais, répondit-il. Je t'ai promis de m'en aller après. Et tu as gagné. »

Et pourtant, elle avait cette profonde sensation d'avoir tout perdu.

···
Mes petits cœurs...

LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant