LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLY

21. À la hauteur.

« Quelque chose s'était cassé dans mon moteur. Je me préparai à essayer de réussir, tout seul, une réparation difficile. »

-Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince

···

Pierre, Melbourne.

Le châtain reposa sa bière devant lui après en avoir avalé une gorgée. La première avait toujours ce goût amer qui ne l'incitait pas à continuer davantage. Et puis, à mesure que le liquide coulait dans son oesophage, il y retrouvait le plaisir de cette boisson. Pierre était sorti avec quelques pilotes pour fêter la victoire de Charles. Son meilleur ami touchait un peu plus du doigt leur rêve partagé de devenir champion du monde et le français était très heureux qu'il ait la possibilité de le réaliser. Il devait quant à lui se satisfaire de son résultat. Il était dans les points, et c'était la deuxième fois cette saison. Cela était prometteur, surtout après le désastre de Sakhir où il avait dû abandonner suite à un incendie de son moteur. Mais au fond de lui, il était toujours déçu de ne pas avoir réussi à faire un peu plus. C'était tellement frustrant de ne pas avoir le contrôle sur tous les paramètres qui pouvaient mener à sa réussite !

Il suivit le groupe lorsque quelques pilotes proposèrent de se rendre sur la piste de danse. Son verre dans une main, un sourire plaqué sur ses lèvres, et Pierre se laissa porter par la musique. Le son assourdissant l'empêchait de réfléchir correctement. Il s'était fait la promesse de profiter de cette soirée et de laisser ses pensées au vestiaire. Il aurait bien le temps de se plonger dans les moindres recoins de son esprit dans l'avion qui le ramènerait en Europe.

Brusquement, il s'arrêta dans ses mouvements. Une brune, les cheveux mi-longs, qui se déhanchait non loin de lui avait attiré son attention. Mais lorsqu'elle se retourna, et qu'il distingua des yeux d'un noir de jais, il ne put cacher sa déception. Ils étaient bien différents de ceux qu'il avait espéré voir. Une légère pression exercée au niveau de ses côtes le ramena à la raison. Il tourna la tête pour en connaître l'origine et vit le regard intrigué de son meilleur ami.

« Elle t'a tapé dans l'oeil ? demanda Charles en criant pour couvrir la musique.

- Qui utilise encore cette expression ? détourna-t-il.

- Change pas de sujet ! hurla le monégasque bien décidé à déchiffrer ses pensées.

- Non. Elle me rappelle quelqu'un, c'est tout... soupira Pierre.

- La fameuse Aria ?

- J'ai besoin de prendre l'air, coupa-t-il sèchement. »

Il quitta la piste en se frayant un chemin parmi la foule qui ne cessait de se densifier. Il prit la direction du coin fumeurs. Ce n'était pas le meilleur endroit pour prendre un bon bol d'air frais, mais ça lui suffirait pour se retrouver seul avec ses pensées. Il ferma les yeux pour tenter de se rappeler les traits de celle qu'il essayait d'oublier depuis quelques semaines, sans réel succès. Il voyait ses yeux, ce mélange de vert, de marron et de doré qui le fascinait tant. Il visualisait parfaitement sa chevelure brune, la plupart du temps tressée, bien que quelques courtes mèches rebelles retombaient sur son front en bouclant dès que la jeune femme transpirait lors de son jogging matinal. Il se souvenait de sa détermination à avancer, à agrandir chacune de ses foulées, à imprégner un rythme incessant. Il percevait la force qui se dégageait d'elle, ainsi que sa sincérité et toute sa fragilité qu'elle essayait de cacher, comme lui sûrement. Il rouvrit les paupières et alors qu'il avait peur d'avoir oublié un léger détail, il attrapa son téléphone pour se rendre sur son profil et contempler le visage de la franco-italienne. "On ne vit pas dans le même monde." Est-ce que tout aurait été plus simple s'il était seulement resté à Rouen. Est-ce qu'il aurait eu autant de chance de la rencontrer ? Est-ce que leurs destins étaient liés, dans cette réalité et dans bien des autres ?