4. Une simple crise d'ado.

697 44 47
                                    

"And as hard as they would try
They'd hurt to make you cry
But you never cried to them
Just to your soul
No you never cried to them
Just to your soul"

-Bronski Beat, Smalltown Boy

...

Pierre. Monaco.

L'air frais sur son visage. Le soleil qui se levait à l'horizon et qui commençait déjà à chauffer sa peau. Un pas après l'autre. Une foulée après l'autre. Rituel du matin. Tradition qu'il perpétuait chaque jour, depuis plusieurs années. Son moment qu'il s'était décidé à continuer bien qu'il lui rappelait sa solitude. Mais ces joggings matinaux avaient été des instants importants de sa vie pendant quatre ans. Du partage. De l'amour. Des confidences. De la tendresse. Au début, la lueur qui naissait dans ses yeux à cette heure représentait l'espoir d'un retour à ce qu'il avait connu. La perspective que les choses reprennent leur cours, reviennent à ce qui lui semblait être "la normale". Il se nourrissait de souvenirs et d'images du passé. Mais elle n'avait fait que mettre en lumière l'absence cruelle du futur qu'il avait pensé construire et qui n'était maintenant qu'un songe. Et il avait appris à profiter de ce moment, seul. Il n'avait jamais réussi à l'offrir à quelqu'un d'autre.

Il traversa le parc paysager de Fontevielle pour s'approcher du port et contempler la mer. Il observait son nouvel environnement de vie qui baignait dans la lumière matinale. Il avait fait ce choix il y a deux ans maintenant et il ne regrettait pas d'avoir établi sa vie à Monaco. Il s'était rapproché de cette immensité d'eau qui avait toujours eu des vertus apaisantes sur lui. Lorsqu'il courait, il cherchait toujours à se rapprocher de cet élément qui le fascinait tant. C'était pour lui le miroir de ses valeurs. Transparence et honnêteté. Authenticité. Essentialité. Le symbole du renouveau. La vague qui prend le dessus pour surmonter les épreuves.

Et en choisissant la principauté, il s'était aussi rapproché de Charles. Il avait eu besoin de sa présence pour ne pas retomber dans ses travers ou se renfermer sur lui-même. Il appréciait sa nouvelle vie. Son contrat avec une nouvelle écurie avait été une lumière au bout d'un long tunnel. Une opportunité qu'il s'était efforcé de transformer en quelque chose de positif. Et ça lui réussissait pour l'instant. Etait-il tellement vraiment heureux ? Il ne savait pas s'il pouvait réellement répondre à cette question. Mais il était épanoui. Il avançait un peu plus dans son rêve. Ou en tout cas, dans la réalisation d'une partie de celui-ci. Un morceau qui concernait sa vie professionnelle. Mais où en était le reste ? Pierre préféra repousser cette dernière interrogation. Il reprit son rythme pour regagner son appartement et s'offrir une douche chaude qui venait récompenser ses efforts.

Ses pieds nus frôlaient le parquet alors qu'il se dirigeait vers la cuisine. Il s'arrêta en ouvrant son frigo et resta figer devant les photos qui ornait la porte. Sa famille. Ses neveux. Ses amis. Et ce sourire espiègle et angélique. Cette petite blonde qui lui manquait en ce jour spécial. Il attrapa son téléphone pour lui écrire une petite attention, lui dire qu'il pensait à elle aujourd'hui. A vrai, Nina occupait souvent ses pensées. Il essayait de maintenir cette relation qu'il avait tissée avec elle. Il ne pourrait jamais lui retirer l'amour inconditionnel qu'il lui avait donné. Le pilote se réjouissait de toutes les conversations qu'il pouvait entretenir avec elle qui se montrait toujours aussi curieuse et intéressée. Lorsqu'il l'avait au téléphone ou qu'il avait l'occasion de la voir quand il passait sur Paris, il riait dès qu'elle se lançait dans des grandes explications pour commenter les Grands Prix qu'elle continuait à suivre avec sérieux. Il aurait aimé voir ses yeux lorsqu'elle découvrirait le cadeau qu'il avait pris soin de lui envoyer.

Il essaya ensuite d'occuper sa journée. Simulateur. Réseaux sociaux. Petite balade dans le centre ville. Lecture sur le canapé. L'interphone finit par troubler sa réflexion. Il se leva paresseusement alors qu'une nouvelle sonnerie trahissait l'impatience de la personne qui s'introduisait dans sa journée. Il activa la vidéosurveillance avant de se résoudre à prononcer le moindre mot. Ses pupilles se dilatèrent. Pierre s'obligea à plisser les yeux pour s'assurer que son cerveau ne lui jouait aucun tour en lui renvoyant cette image tout droit sortie du passé. De longs cheveux blonds ramenés en tresses laissant apparaître des mèches plus claires que la couleur présente sur les pointes. Des yeux bleus presque similaires aux siens. Et dans ce regard, une certaine assurance qui cherchait à prendre le dessus sur une fragilité qu'il pouvait desceller. Une grande panique. De la peur.

Il devait en avoir le cœur net. Alors le châtain attrapa ses clefs et dévala les étages avec célérité. Il courait presque. Son cœur s'emballait. Il avait du mal à y croire. Était-ce ne serait-ce que possible ? Était-ce envisageable ? Il ouvrit les successions de portes et se planta devant la dernière. Elle était vitrée et il put apercevoir la jeune femme au dehors qui appuyait frénétiquement sur la sonnerie. Il se figea un instant quand leurs regards se croisèrent. C'était bien la même personne que sur la photo épinglée sur son réfrigérateur. A un détail près. Elle avait ce sourire triste qui annonçait une mauvaise nouvelle. Pierre était heureux de la retrouver et qu'elle ait fait le déplacement en ce jour si particulier pour être auprès de lui. Mais il déchanta vite car il savait que sa venue ne présageait rien de bon. Il était prêt à tout pour apaiser cette peine qu'elle semblait porter seule. Alors pour prendre sa part et la soulager, il déverrouilla la dernière barrière qui se tenait entre eux.

« Nina ? Interrogea-t-il dans un murmure.

- Pierre... Je suis désolée de débarquer comme ça. Mais je ne savais pas où aller. Le pilote lui ouvrit ses bras et elle s'y réfugia sans plus attendre.

- Hey, il passa ses doigts autour de son menton pour la forcer à lever la tête. Tu sais que tu es toujours la bienvenue ici. Tu es en sécurité. Je te le promets. »

Il savait, ô combien, il était dangereux de faire une promesse. Il n'avait déjà pas tenu la sienne il y a de cela quelques années. Et l'adolescente qui se tenait à présent devant lui en avait d'une certaine façon payé le prix. Ils restèrent un moment dans cette étreinte qui dégageait seulement sérénité et confiance. Le jeune homme lui prit finalement la main pour la tirer dans l'ascenseur et la mener à son appartement. Lorsque les portes de l'appareil se refermèrent, il ne put s'empêcher de rompre le silence.

« Joyeux anniversaire Nina ! Et les yeux de la blonde s'emplirent de larmes.

- Je suis désolée, souffla-t-elle. Je n'ai même pas eu le temps d'ouvrir ton cadeau.

- Ce n'est pas bien grave. Il t'attendra jusqu'à ton retour. »

Elle le regarda intensément. Pierre ignorait encore tout ce qu'elle avait à lui raconter mais il vit cette fracture. Cette innocence brisée qu'il avait toujours redoutée voir naître un jour dans ses yeux. Il avait maintenant peur de ce qu'elle allait lui annoncer.

« Quelqu'un sait que tu es là ? Voulut-il s'assurer. »

Il aurait bien voulu croire à une simple crise d'ado qui avait dégénéré. Elle se serait vexée à la suite d'une remarque de sa sœur et elles se seraient toutes les deux emportées. Il connaissait leurs caractères bien trempés et c'était loin d'être impossible. Mais il avait suffisamment côtoyé Nina pour savoir qu'elle n'était pas difficile et que jamais elle n'adopterait un comportement aussi radical. Et pourtant, son cœur se compressa lorsque les mots qu'elle semblait avoir soigneusement préparés sortirent de sa bouche.

« Non, et je n'ouvrirai jamais ton cadeau. Je ne veux pas retourner à Paris. Je ne peux pas. »

...

Le retour de notre Pierrot

LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant