LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLY

2. En sécurité.

"This deadly burst of snow is burning my hands
I'm frozen to the bones, I am
A million mile from home, I'm walking away
I can't remind your eyes, your face"

-Woodkid, Iron

...

Nina. Paris.

Tout en posant une pile de pancakes surmontée d'une bougie sur la table, Aria finissait de chanter la traditionnelle chanson pour célébrer les quinze ans de sa jeune soeur.

« Buon compleanno, tesora ! répéta-t-elle. Tu fais un voeu ?

- Sì, signora ! répondit-elle en fermant ses yeux et joignant ses mains. »

Mille rêves l'habitaient. Elle désirait faire tout et son contraire. Elle voulait faire le tour du monde pour découvrir les endroits que Pierre lui racontait en photo. Elle voulait parfaire les langues qu'elle avait commencées à apprendre et s'initier à d'autres. Ces langages la fascinaient. Elle parlait l'italien avec sa soeur. Elle échangeait en anglais avec le pilote. Elle étudiait l'espagnol au collège. Mais elle désirait connaître l'allemand et l'arabe et peut-être même le japonais. Elle voulait comprendre leur culture. C'était un point qui faisait sa personnalité et ce qu'elle était. C'était une partie de son histoire et elle savait que c'était un élément qu'elle voulait fortement présent dans son avenir, sans avoir d'idée vraiment précise de ce qu'elle deviendrait. Bien sûr, elle avait encore le temps d'y penser, d'essayer, de se tromper et de changer de voie maintes et maintes fois.

Et Nina avait aussi envie de s'épanouir, notamment dans la boxe, ce sport qu'elle affectionnait tant. Plus qu'une simple manière de se défouler, elle y avait trouvé une école de la vie. Savoir se défendre, éviter les coups, et parfois les encaisser. Et les rendre avec tactique et réflexion. Garder la tête froide. Rester humble quand on gagne. Apprendre à perdre. Avoir le courage de remonter sur le ring.

Et puis, elle voulait développer cette passion qui était enfouie au fond d'elle. Quelque chose qu'elle avait vu de près pendant quatre ans et qui la fascinait de ses yeux d'enfants. L'automobile. Elle était tombée amoureuse de la Formule 1, de ces voitures qui tournaient en rond en essayant de rouler le plus vite possible. Et puis, elle avait découvert les autres disciplines. Mais le circuit restait sa prédilection. Et il était difficile de garder ça pour elle. L'adolescente ne voulait pas imposer cet emballement à sa soeur qui avait essayé de la protéger de sa rupture avec Pierre. La jeune fille ne lui en voulait pas et comprenait que cela puisse être encore douloureux pour elle et elle ne souhaitait pas lui imposer de suivre un sport dans lequel son ex-compagnon s'épanouissait. Mais pourtant, elle attendait impatiemment les week-ends de Grand Prix et particulièrement les dimanches durant lesquels elle s'enfermait dans sa chambre prétextant faire ses devoirs. Et retourner sur les circuits. Vivre ces sensations. Vibrer à l'écoute des moteurs. Célébrer les victoires. Elle voulait connaître ça à nouveau et espérait secrètement se rapprocher au maximum de cette passion.

Voilà tout ce dont elle rêvait. Beaucoup de choses. Du positif. Beaucoup de pistes pour l'avenir. Mais s'épanouir devait être le mot d'ordre. Elle inspira pour éteindre la petite flamme qui dansait devant ses yeux sous les applaudissements de sa soeur. C'était un symbole fort. Elle faisait disparaître cette flamme pour qu'elle lui porte chance et qu'elle rejoigne sa lumière intérieure. Elle insufflait la joie de ce moment pour affronter ses démons qui feraient aussi partie de l'année à venir. Supporter l'absence de sa mère et de sa Mamie. Rendre visite à son père. Se poser toutes les questions qui pouvaient venir fleurir dans la tête d'une enfant de quinze ans.

Nina déposa la moitié des pancakes dans l'assiette de la jeune femme. Cette dernière se leva pour verser le traditionnel chocolat chaud dans deux tasses et disposa les viennoiseries qu'elle avait achetées le matin même au centre de la table. La jeune fille huma l'odeur épicée qui se dégageait du liquide épais et ne put résister à tremper un pancake dans sa boisson avant de l'enfourner dans bouche. Elle profita de ce délice simple. Elle adorait tous les plats que sa soeur préparait pour elle et se plaisait à apprendre à les cuisiner avec elle. C'était un instant qu'elles échangeaient ensemble. L'adolescente savait à quel point cette transmission comptait pour son aînée qui reproduisait ce qu'elle avait vécu avec sa grand-mère. Et Nina aimait l'idée qu'elle avait l'opportunité de recevoir l'héritage de celles qui l'avaient élevée. Cela faisait grandir en elle le sentiment qu'elle faisait pleinement partie de la famille, pas à moitié, bien qu'Aria ne l'avait jamais laissé penser ça. Et elle ne remercierait jamais assez sa soeur pour tout l'amour qu'elle lui donnait.

La brune se leva et se rendit dans l'entrée. Elle revint et poussa vers sa soeur une pile de colis.

« C'est arrivé ce matin pour toi, sourit-elle. Et puis, ça c'est de ma part, indiqua-t-elle en ajoutant un cadeau sur la table.

- Merci Aria. »

Elle s'empressa de déchirer le papier cadeau pour y trouver la paire de gants de boxe blancs qu'elle avait repérés il y a quelques mois. Son sourire s'étira sur ses lèvres. Elle n'en avait pas parlé à sa soeur mais force était de reconnaître qu'elle la connaissait mieux que personne.

« Essaie-les, l'encouragea malicieusement son aînée. »

Elle plongea alors sa main dans cet écrin qui était si agréable et ses doigts frôlèrent un bout de papier qu'elle s'empressa d'extraire. Elle découvrit deux places pour assister à un gala de boxe anglaise. Nina se leva alors pour contourner le bar autour duquel elles étaient assises et prendre son aînée dans ses bras pour la remercier.

Elle s'installa alors à nouveau pour découvrir ce que renfermait les autres colis. Thomas lui avait offert un livre des plus belles photos prises lors de combats de boxe. Quant à Lucie, elle lui avait envoyé une de ces cartes du monde dont elle pouvait gratter les pays qu'elle avait déjà visités. Elle l'ouvrit et s'aperçut que l'Irlande était déjà dévoilée. Elle regarda alors sa soeur, intriguée.

« Lucie nous invite à venir passer une semaine dans son nouveau chez elle à Dublin, expliqua-t-elle. Donc voilà son deuxième cadeau, elle lui tendit un paquet. C'était un guide de la ville avec des explications sur l'histoire et la culture du pays. Nina feuilleta quelques pages.

- Ça a l'air super beau, j'ai hâte ! »

Il restait un paquet sur la table. Une boîte bleue que l'adolescente gardait pour plus tard. Elle savait d'où il provenait. Pierre. Il ne l'oubliait jamais pour son anniversaire ou pour Noël. Il continuait à prendre de ses nouvelles et pensait toujours à lui envoyer des encouragements lorsqu'elle avait des compétitions ou qu'elle allait voir son père. Elle avait eu peur que les liens qu'ils avaient développés ne se rompent après la séparation. Mais ils avaient perduré. Et jamais il n'avait repris l'amour qu'il lui avait donné. Alors elle gardait l'ouverture de ce cadeau pour plus tard quand elle trouverait un moment pour être seule dans sa chambre. Encore une fois, elle ne voulait pas imposer une telle image à sa soeur.

Nina reporta son regard sur l'enveloppe qui était posée à côté du paquet. Son nom était imprimé dessus. Impersonnel.

« C'est quoi ? demanda-t-elle finalement.

- Je ne sais pas, il n'y a rien d'indiqué, répondit-elle en haussant les épaules avant de croquer dans un pancake. »

Elle hocha la tête et ouvrit le courrier. L'entête indiquait qu'il provenait d'un cabinet d'avocats. Son souffle se coupa et elle se demanda si elle devait continuer de lire le papier. Un mauvais pressentiment qui l'envahissait. Sa journée qui avait si bien commencée était déjà gâchée. Elle ne pourrait pas supporter d'attendre pour savoir cette lettre contenait. Alors, elle parcourut les quelques lignes qui suivaient.

« Nina ? Ca va ? demanda Aria. »

La jeune fille ne s'était pas rendue compte qu'elle tremblait. Elle leva les yeux vers sa soeur. Incapable de prononcer le moindre mot. Elle mordit sa lèvre inférieure pour empêcher les larmes de quitter ses yeux. Elle devait les refouler. Ne pas montrer qu'elle paniquait. Ne pas laisser voir le tourbillon qui l'emportait. Ne pas voir la peur qui la prenait aux tripes. Elle se leva pour quitter la table. Elle étouffait. Elle avait besoin d'air. Un horrible bourdonnement envahissait ses oreilles. Elle n'entendait plus rien. Elle voulait se couper du monde. Dire stop. Elle attrapa son manteau et claqua la porte de l'appartement sous les cris de sa soeur. Elle ne sentit pas plus en sécurité à l'extérieur. Et pourtant, c'est ce dont elle avait terriblement besoin. D'un lieu rassurant.

...

On va rentrer rapidement dans le vif du sujet. Merci d'être encore là, à lire mes lignes. J'ai hâte que vous découvriez tout ce que j'ai préparé.
A demain !