6. Impossible.

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« Je pense que le hasard n'existe pas. Ou alors, le hasard, c'est... c'est Dieu. Voilà, le hasard c'est Dieu qui se promène incognito. »

-Albert Einstein

···

Pierre. Rouen.

L'air était frais. Beaucoup plus que le vent doux qui soufflait ces dernières semaines sur la ville italienne de résidence du pilote. Mais ça ne lui déplaisait pas. Bien au contraire. La fraîcheur qui rendait ses joues rouges lui donnait du baume du coeur. Ça lui rappelait à quel point il était vivant. Et il était heureux d'être de retour dans sa région natale. Son entraînement s'en ressentait d'ailleurs puisque son environnement lui donnait non seulement, la motivation, mais également l'envie de se lever pour aller s'adonner à son programme de course à pied. Il appréciait particulièrement le calme de l'endroit où il se trouvait. Rive gauche les quartiers situés en périphérie de Rouen. Rive droite, la forêt de Roumare. Et entre ces deux mondes, la Seine qui à l'horizon dessinait l'un des ses méandres. Comme à Milan, Pierre avait une appétence pour ce lieu bordé d'eau. Il aimait la sérénité qui s'en dégageait, et était paisible face à ce spectacle de la nature.

Après avoir longé le fleuve, le jeune homme suivit un itinéraire retour différent en passant par la ville. Certes, il avait quitté le cocon familial très jeune, et avec les années, il avait de moins en moins le temps, d'y revenir. Mais Rouen était tout de même la source d'énormément de souvenirs qu'il laissait revenir à lui. Le stade sur lequel il avait joué ses premiers matchs de football avec ses amis. Le jardin des plantes où il avait donné ses premiers rendez-vous avec toute la maladresse qu'on peut imaginer chez un adolescent de douze ans. Les bords du fleuve sur lesquels sa "bande" se retrouvait les week-ends lorsqu'il n'était pas déjà sur les circuits. Le karting sur lequel il avait fait ses premiers pas en tant que pilote. Le centre ville, l'endroit où il fallait être après les cours pour paraître cool alors que Pierre ne pensait déjà qu'à s'entraîner pour être le meilleur. Son enfance était ici. Mais il ne regrettait jamais d'en être parti pour poursuivre son rêve. Être pilote de Formule 1 n'était qu'une étape. Il lui restait du chemin à parcourir pour atteindre l'objectif final : devenir champion du monde. Ça faisait sourire ses camarades et ses professeurs à l'école, à l'époque. Aujourd'hui, cela devenait réel, possible, plus que cela ne l'avait jamais été. Le jeune homme n'était pas fier de revenir pour montrer à toutes ces personnes qu'elles avaient eu tord de ne pas croire en lui. Non. Il était fier de revenir parce qu'il avait réussi, avec l'aide de ses proches, et qu'il avait su s'entourer et faire des choix nécessaires.

Après ce petit tour nostalgique, Pierre finit sa course en longeant une nouvelle fois la Seine. Il ralentissait la cadence pour finir calmement et procéder à des étirements aux bords de l'eau. Il prit appui sur un banc sur lequel il posa l'une de ses jambes devant cette scène paisible. Le bruit du courant contre les rives. Le vent qui se frayait un chemin à travers les feuilles. Le ronronnement des voitures au loin témoignant de la ville qui s'éveillait doucement. Des sons réguliers procurant un sentiment de sérénité. Et puis, un claquement rythmé qui paraissait lointain et qui s'intensifiait. S'il ne brisait pas la tranquillité du tableau, il attira l'attention du jeune homme qui leva les yeux vers sa source. A l'horizon, une lumière. Elle approchait. Pierre eut une impression de déjà-vu. Il secoua la tête. Pas question de s'accrocher à des songes, cette fois. Pourtant, il la fixait, fasciné par cette source éclatante. Il était incapable de bouger pour reprendre sa course et s'en éloigner. Elle allait atteindre sa hauteur et il pouvait alors distinguer sa silhouette féminine emmitouflée dans un legging et un pull chaud. Sa tête était enfoncée dans un bonnet. Elle était à deux pas. Pierre se plaça au plus près du chemin pour la voir passer. Il pourrait ensuite reprendre ses esprits. Elle le contourna, ne levant pas les yeux afin de rester concentrée sur son objectif. Dans ce qui semblait être un regret, ou une once de curiosité, elle tourna la tête pour apercevoir le regard du jeune homme. C'est alors qu'elle se stoppa net.

Le pilote s'approcha d'elle pour être sûre que son esprit ne lui jouait aucun tour. Aria. Qu'est-ce qu'il était reconnaissant envers le destin à cet instant ! Il la toisa un instant. Elle ne détournait pas le regard, encore sur le choc de la situation qu'elle était en train de vivre. Le français n'osait même pas y croire. Il devait encore dormir. Il devait rêver. "Les choses ne se déroulent jamais deux fois de la même façon". C'était la seule chose qui lui venait en tête. Ce proverbe tiré d'un conte pour enfants qu'il avait dû lire il y a des années. Et pourtant, il sentait le froid sur ses joues. Il entendait l'eau, le vent, les voitures, les cloches qui indiquaient l'heure. Il voyait son visage rougi. La faute à la fraîcheur, à l'effort et peut-être à l'intimidation de la scène. Il sentait son souffle chaud et rapide qui se matérialisait dans l'air. Il distinguait ses veines pulser sous le rythme important que leur imposait son coeur. L'effort, une nouvelle fois. La situation, également.

Le jeune homme ne pouvait dire depuis combien temps ils étaient là, murés dans le silence le plus complet. Rien ne les sortait de leur paralysie. Aucun des deux n'avaient l'air de savoir comment réagir mais l'atmosphère n'était pas lourde pour autant. Pierre s'efforçait de savourer l'instant qui lui semblait irréalisable il y a quelques heures encore. Il sentait qu'un sourire était né sur son visage et qu'il n'arriverait pas à s'en défaire si facilement. Qu'avait-il fait dans cette vie, ou dans ses précédentes, pour avoir le droit à autant de chance ? La belle franco-italienne ne détournait pas le regard et le fixait d'une manière très soutenue et appuyée. Il le prit alors comme une invitation et s'autorisa à se plonger dans ses yeux qui exprimait son incompréhension et peut-être une pointe de peur. L'effrayait-il ? Lui, de par sa présence dans l'ombre à Milan, puis ici à Rouen ? Pensait-elle qu'il la suivait ? Ou était-ce de par sa notoriété, de par ce qu'elle pouvait connaître de lui via les médias ou les réseaux sociaux ? Il chassa ses réflexions de son esprit. Il pourrait s'y arrêter plus tard. Il voulait se concentrer sur l'instant présent alors il admira ses iris dans lesquels se reflétait la lumière des lampadaires avoisinant. Un marron tirant sur les tons dorés bordait ses pupilles. La couleur s'étirait sur l'extérieur, laissant apparaître un vert clair se terminant sur un gris intense. De petites tâches dorées donnaient du relief à ses yeux. Pierre était surpris de distinguer autant de couleurs qui se mélangeaient les unes aux autres pour s'assembler et ainsi créer un ensemble parfait. Il trouvait son regard intense magnifique, tout aussi mystérieux ce que la jeune femme lui inspirait. Elle qui ne lui avait donné que son prénom, réduisant ainsi à néant tous ses espoirs de la retrouver.

"Aria ?" interrogea-t-il pour confirmer qu'il n'était pas en train de rêver.

"Impossible" murmura-t-elle en confirmant indirectement les doutes du pilote.

Peut-être qu'elle allait finalement pouvoir prendre sa revanche. Mais le voudrait-elle ? Maintenant, Pierre ne pouvait que l'espérer. De toutes ses forces.

···
Et voilà les retrouvailles... Pour la réaction d'Aria on se retrouve lundi !

LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant