8. Survivre.

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"Where are you? where are you?
I know that I need you most and
A heart upon my sleeve, broken down"

-Avicii, Heart upon my sleeve

...

Aria. Nice.

La jeune femme descendit du train régional pour effectuer sa correspondance à Nice. Elle ne se dirigea qu'avec peu d'entrain vers les commerces pour acheter son repas de midi. Elle passa devant les vitrines avec lassitude. Rien ne lui faisait envie. Rien ne l'inspirait. Rien ne la motivait. Elle se résolut finalement à sauter ce repas et se dirigea vers le quai sur lequel se trouvait déjà le train qui la ramenait vers la capitale.

Elle s'installa dans son siège et poussa un long soupir. Aria sortit un livre qu'elle avait embarqué dans sa fuite, commença quelques lignes et, voyant qu'elle était incapable de se concentrer sur sa lecture, elle renonça finalement à cette occupation. Elle brancha ses écouteurs pour lancer une playlist. Elle passa un titre, puis un second et un troisième n'y trouvant aucun plaisir. Elle décida alors de fermer les yeux et de se laisser bercer par le mouvement du train qui se mettait en route. Mais là encore, il lui était difficile de se laisser aller. Ça faisait à peine une heure qu'elle avait quitté sa sœur et il lui était déjà difficile de vivre sans elle. Savoir qu'elle allait se retrouver seule dans leur appartement ce soir et les jours suivants lui était insupportable.

Elle s'était beaucoup concentrée sur Nina ces deux dernières années et après tous ses efforts, voilà qu'elle avait finalement échoué à la protéger. Certes, elle était triste de cette situation. Mais si la brune ne devait retenir qu'un seul sentiment qui l'animait, ce serait sûrement la colère. Une haine dirigée vers le géniteur de sa cadette. Sa mère. Sa sœur. Il ne pouvait pas lui prendre toutes les personnes auxquelles elle tenait. De nature plutôt compréhensive, Aria avait, année après année, déconstruit toujours un peu plus le personnage du père de Nina pour le déshumaniser complètement.

Et sa fureur ne s'était jamais apaisée. Elle s'était même renforcée en voyant comment ses proches se comportaient avec sa sœur. Thomas qui avait endossé le rôle de l'oncle sympa et qui l'avait vue grandir. Lucie. La tata qui jouait les meilleurs copines. Et Pierre. Il n'aurait pas pu plus faire plaisir à la jeune femme. Ça lui avait semblé tellement naturel de contribuer à la vie de la petite fille devenue adolescente. C'était un confident qui semblait parfois plus accessible qu'elle qui cumulait avec beaucoup de difficultés tous les statuts que sa position lui attribuait. Ni tout à fait une sœur. Ni tout à fait une mère. Aria ne pouvait pas compartimenter et gérer les responsabilités généralement attribuées à l'une des figures sans faire entrer l'autre en jeu. Au contraire, le pilote était un peu tout à la fois. Il avait forgé son propre titre. Et la brune avait eu plaisir à assister à l'évolution de cette relation. Bien sûr, il y avait tous les petits moments du quotidien qu'ils avaient pu partager et qui s'étaient multipliés quand ils avaient emménagé tous ensemble, à Paris. La jeune femme se remémorait les yeux emplis de fierté de Nina quand elle répétait avec assiduité les phrases que le pilote lui avait apprises en anglais. C'était un truc entre eux deux dans lequel Aria avait préféré ne pas s'immiscer. Et puis, l'autre point d'orgue était la passion de Pierre pour l'automobile. Nourrie par une grande curiosité, la fillette s'était mise à lire des livres sur le sujet et les brochures qu'il laissait souvent traîner. Elle posait des questions de plus en plus précises et il se faisait toujours un plaisir de lui expliquer les rouages du métier, s'arrangeant même pour l'emmener une ou deux fois à l'usine de l'écurie française avec lui. D'un point de vue moins technique, elle s'interrogeait beaucoup sur le monde de la Formule 1 en général. Et ils aimaient en débattre tous les deux. C'était une complicité que Nina n'aurait jamais avec son père. C'était une part de son cœur qui n'était réservée qu'au châtain. Et ça avait brisé le coeur d'Aria de devoir, si ce n'était y mettre un terme, les éloigner en raison de sa rupture.

C'était cruel pour Nina. Ça devait l'être tout autant pour Pierre. Il avait toujours été fier de présenter la blonde comme « son équipière ». Il ne tarissait pas d'éloges à son sujet et parlait de chacun de ses exploits comme un père l'aurait fait. Une fois, alors qu'ils étaient tous les trois en vacances en train de commander des glaces, la vendeuse s'était montrée très agréable avec eux et avait ajouté un supplément pépites de chocolat sur celle de Nina. « For your daughter » avait-elle précisé. Les yeux de la fillette s'étaient écarquillés avant de demander prudemment si elle avait bien compris ce que signifiait ce nouveau mot qu'elle ne connaissait pas encore vraiment. Plus tard, voyant que cette situation la préoccupait, les deux adultes avaient abordé le sujet avec la blonde qui ne comprenait pas pourquoi Pierre n'était pas intervenu pour rétablir la vérité. Et Aria se souvenait de chacun de ses mots « Parce que ce n'est pas grave qu'elle le pense. On est une famille tous les trois, peu importe ce qu'on en dise. On n'a pas besoin de mots pour se définir. Et dans certaines situations, peut-être que oui, tu es un peu ma fille ou ma belle-fille. En tout cas, moi je serai honoré d'avoir ce rôle pour toi. Si ça te gêne parce que tu as déjà ton papa, je comprendrai et je te promets que je reprendrai les gens qui se tromperont la prochaine fois. ». Mais Nina avait également dit qu'elle serait fière d'être « un peu comme sa fille ».

Une larme coula sur la joue de la jeune femme alors qu'elle fixait le paysage qui défilait sous ses yeux. Elle avait imposé une vie de famille à sa sœur sans qu'elle ne l'ait demandé pour la briser par la suite. Elle ne s'était pas montrée à la hauteur de la stabilité qu'elle prétendait vouloir lui offrir. Elle ne faisait que répéter un schéma dysfonctionnel dont Nina avait été victime. Ça avait été assez dur à vivre pour sa cadette les premiers mois. Et maintenant, près de deux ans après, elle avait la sensation qu'elles avaient retrouvé une certaine stabilité, une routine qui fonctionnait plutôt bien et dans laquelle elles s'épanouissaient.

Mais tout ça serait bientôt une nouvelle fois réduit à néant. Il faudrait se réadapter à un nouveau modèle. A de nouveaux paramètres. À une nouvelle personne pour la blonde. À une nouvelle solitude pour la brune. Après le décès de sa grand-mère, Aria s'était habituée à une forme de solitude. Son cœur avait été bien trop maltraité pour l'ouvrir à nouveau. Et pourtant, Pierre avait réussi à s'y introduire. Il s'était infiltré dans chacune de ses veines, dans chacun des grains de sa peau, dans chacune des cellules de son cerveau. Et la possibilité d'avoir seulement envisager de se fermer à toute autre personne n'avait pas seulement instantanément disparue, mais elle lui avait également semblé bien ridicule. Cependant, elle était consciente que le pilote avait été exceptionnellement bon et sain pour elle. Pour elles deux. Et que cette rencontre avait été extraordinaire. Miraculeuse. Merveilleuse. Prodigieuse. Délicieuse. Inexplicable. Tant de mots pour décrire une relation qui lui avait tant apporté. Et puis elle avait dû surmonter le vide que son absence avait laissé. Elle avait dépensé beaucoup d'énergie à compenser tout ce que son départ avait entraîné. Tout ce qu'il avait emmené avec lui. Son sourire. Sa confiance en elle. Une partie de son cœur. Et si son esprit était si torturé aujourd'hui, c'est parce qu'elle savait que l'autre moitié appartenait à Nina. Et qu'elle aussi l'emporterait avec elle si elles devaient se séparer. Alors, plus rien ne comptait. Seule une question envahissait son âme. Peut-on survivre, sans cœur ?

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LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant