48. La leçon.

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« L'absence n'est-elle pas pour ce qui aime, la plus certaine, la plus efficace, la plus vivace, la plus indestructible, la plus fidèle des présences ? »

-Marcel Proust

···

Pierre. Zandvoort.

C'était tel qu'il l'avait dit aux journalistes. Une qualification frustrante aux portes du top 10 mais qui, il l'espérait, lui donnerait la possibilité d'intégrer la première moitié du tableau le lendemain. Pierre était frustré de ne pas parvenir à atteindre les résultats escomptés. Atteindre les points semblait terriblement difficile cette année et tous les efforts que l'équipe et lui fournissaient ne portaient pas leurs fruits. Encore une fois, le pilote se remettait en question et s'enferma dans la salle de réunion pour se repasser en boucle les tours du circuit qu'il avait effectués. Visionner. Analyser. Comprendre. Rectifier. S'améliorer. Persévérer. Le travail. La clé de la réussite. Mais cela fonctionnait mieux lorsque tous les astres étaient alignés. Sa performance. Celle de la voiture. La stratégie. Les conditions métrologiques. Un peu de chance parfois. Et finalement, si peu d'éléments sur lesquels il avait un impact direct. Pourtant, il était le premier à reconnaître que quoiqu'il arrivait sur la piste, il en était le seul responsable.

Une fois les différents briefings terminés, le français s'accorda un dernier instant seul avec ses pensées en allant se détendre sous sa douche. Puis, il retrouva avec plaisir une partie de sa famille venu le soutenir après le repas avec son équipe. Ils profitèrent de l'air frais en longeant le littoral de la mer du Nord. Les enfants jouaient au loup, en courant devant eux, et il était heureux de voir Nina parmi eux. Elle avait accepté d'accompagner sa soeur, même si elle refusait toujours de lui adresser la parole plus que nécessaire. Il souhaitait chasser les démons d'Aria, la soulager de tous ses problèmes, la protéger du reste du monde. Mais en cet instant, il ne pouvait profiter que du présent. De la jeune femme à ses côtés. De leurs doigts entrelacés. Pierre avait ralenti le rythme pour s'éloigner un peu des autres adultes et profiter de ce moment d'intimité.

« Ça ne s'est pas arrangé ? souffla-t-il.

- Elle refuse toujours de me parler.

- La psy t'a donné son avis ?

- Oui. Et ça ne me rassure pas trop, avoua-t-elle. Il porta ses yeux sur elle, l'invitant à développer sa pensée. Elle pense qu'elle changera sûrement d'avis en le rencontrant, en étant confrontée à la réalité. Elle dit que Nina doit faire face à tous les paramètres de manière concrète pour se rendre compte que la situation est compliquée.

- Il lui faut simplement du temps Aria... fit-il remarquer.

- Et s'il l'embobine ? Et s'il la renforce dans l'idée que je lui ai menti toute sa vie, que ma grand-mère et moi l'avons empêchée de le voir ? Et si elle ne me pardonne jamais ? Pierre était conscient que c'était là sa plus grande peur. Perdre sa soeur. A jamais.

- Quand est la première visite ? demanda-t-il.

- Samedi prochain. On va faire l'aller-retour à Rouen dans la journée, précisa-t-elle.

- J'aurais aimé être là. Être présent physiquement pour vous deux, soupira-t-il. Tu sais que mes parents peuvent vous accueillir si besoin...

- C'est gentil. Mais je crois qu'après ça, on aura juste envie d'être seules, et au calme. Je ne sais pas trop comment Nina va réagir, dit-elle en levant le regard vers sa soeur qui courrait à toutes jambes. Il s'arrêta finalement pour tourner sa tête vers l'horizon. Il plaça la femme qu'il aimait devant lui et posa tendrement sa tête au-dessus de la sienne avant de passer ses mains autour de son cou pour la serrer contre lui. La chaleur de son corps et le rythme de son pouls eurent pour effet de l'apaiser instantanément. Il aimait tellement cette sensation qui était indescriptible.

- Vous m'impressionnez. Vous êtes tellement fortes. Vous gardez le sourire. Vous allez de l'avant.

- Je... Elle hésita. Pierre savait qu'elle était prête à se confier à lui. Je l'ai toujours fait pour Nina, et pour fuir une partie de mon passé alors que je restais paradoxalement accrochée à une époque qui était révolue depuis longtemps. Mais depuis quelques temps maintenant, j'ai envie de laisser ça derrière moi et d'avancer. De me donner une chance. De nous donner une chance. Ces mots eurent pour effet de lancer une décharge dans tous ses membres. Il la fit pivoter pour admirer son visage qui semblait heureux malgré les événements auxquels elle était confrontée, montrant qu'elle avait décidé de se concentrer cet instant qu'ils partageaient. Il ne résista pas à l'appel des lèvres de la franco-italienne et les pressa des siennes pour lui montrer tout l'amour qu'il ressentait pour elle.

- Tu sais que quand on me donne une chance, je m'arrange toujours pour la saisir.

- C'est dans ta nature champion, sourit-elle. Champion. Ce mot résonnait dans sa tête, le laissant pensif.

- J'aimerai le retrouver... avoua-t-il après un long silence. Il savait qu'il pouvait se confier sans être jugé. Aria n'avait aucun a priori sur le sport ou sa carrière et elle comprenait sa frustration. Le goût d'une course réussie. Je ne veux pas forcément une victoire ou un podium, ça serait prétentieux vues les performances. Mais juste, un bon scénario et quelques points.

- Il reste encore des courses avant la fin de la saison. Ton équipe va bosser dessus pour te mettre dans les meilleures conditions.

- J'en ai marre d'être nul.

- Je peux t'assurer que tu en es loin. Et je suis prête à serrer tous les doigts que j'ai, comme ton papa, pour te le prouver. Et même décrocher la lune s'il le faut. Elle le fixa intensément dans les yeux lui rappelant cette soirée sur les balcons de Monaco. Il leva la tête vers la nuit claire qui commençait à tomber. L'astre qui avait toujours veillé sur eux deux à chacune de leurs rencontres était déjà visible.

- La contempler avec toi me suffit amplement, répliqua-t-il en citant les mots de la jeune fille qui vint déposer un baiser sur son visage, ce qui le fit sourire. Il posa ensuite ses mains sur ses joues pour planter son regard dans le sien. Il admirait chacun de ses traits. Ses longs cils. Ses magnifiques iris qui n'avaient aucun équivalent. Son nez qui remontait légèrement et qu'il aimait taquiner du bout du sien. Le rouge de ses joues fraîches. Sa bouche fine étirée pour témoigner de sa joie d'être à ses côtés. Les fossettes qu'elle faisait naître. Tu es magnifique, souffla-t-il avant de partir à l'attaque de ses lèvres une nouvelle fois dans un baiser passionné. »

***

Pierre repensait encore à ce moment, le lendemain, lorsqu'il descendit de sa monoplace, frustré de ne pas avoir réussi à améliorer sa place de qualification. C'était le goût des lèvres d'Aria qui le faisait tenir lors des interviews et du débriefing. Une seule envie était présente dans sa tête : se blottir dans ses bras pour qu'elle lui fasse oublier le désastre de ce week-end. Lorsqu'il arriva enfin dans la salle où patientaient généralement ses proches sans avoir pris le temps de se changer, son regard balaya la salle toute entière sans pour autant apercevoir la brune. Sa mère s'avança vers lui, le regard fermé, la tristesse sur son visage. Il se douta bien vite que les émotions qu'elle renvoyait n'avait rien à voir avec le résultat qu'il venait de signer. Et avant qu'il ne puisse ouvrir la bouche pour lui demander où était la seule personne qu'il voulait voir, elle lui tendit son téléphone et poignarda son coeur, ses yeux remplis de larmes, déchirée de faire tant de mal à son fils.

« Pierre, je suis désolée... commença-t-elle. Elles sont parties. »

Il parcourut l'écran de sa main tremblante. Qu'est-ce que c'était encore que cette histoire ? Il aurait dû retenir la leçon depuis le temps. Les fantômes du passé viennent toujours nous hanter.

···
Sur ces tristes lignes, je vous souhaite un bon week-end, un bon réveillon du nouvel an... Et nous on se retrouve lundi !

LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant