36. Lumineux.

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"The change, it had to come
We knew it all along
We were liberated from the foe, that's all
And the world looks just the same
And history ain't changed"

-The Who, Won't Get Fooled Again

...

Pierre. Monaco.

Il contemplait Nina, les joues encore rougies par les pleurs qui avaient marqué ses joues suite à toutes ces révélations. Elle avait réussi à se calmer et à s'endormir dans les bras de sa sœur qui la berçait. Cette dernière se dégagea de son étreinte et replaça les draps sur la jeune fille pour la border correctement. Elle leva les yeux vers lui. Ils étaient vides. Son naturel pétillant s'était envolé, trahissant son manque cruel de confiance en l'avenir.

« Les horaires des visites vont se terminer, dit-elle simplement. »

Pierre se contenta de hocher la tête et d'attraper le sac de la brune avant de se diriger vers la porte. Alors qu'il appuyait sur la poignée, il sentit une main glisser sur son bras pour le retenir. Aria murmura son prénom dans un souffle. Ses doigts se frayèrent un chemin au cœur de son poing et il fut forcé de relâcher la pression qu'il y avait accumulée, permettant à ses jointures de reprendre un peu de couleurs. Elle contempla dans sa paume les traces en demi-lune que ses ongles y avaient laissées et elle passa la pulpe de son pouce sur les marques. Il était certain qu'elle avait les mêmes au creux de ses mains.

Sans un mot de plus, ils quittèrent la pièce et l'hôpital, leurs doigts entremêlés. Sous ce contact apaisant, sa mâchoire se détendit également et il desserra ses dents pour la première fois depuis qu'il avait appris la nouvelle. Il ne comprenait pas comment il était possible d'en arriver là. De blesser des membres de sa famille. Et en particulier, ces deux femmes qui faisaient sans doute partie des êtres les plus doux qu'il connaissait. Le châtain avait ruminé sa colère toute la journée. Contre le père de Nina. Mais aussi contre lui-même. De n'avoir rien vu. De ne pas avoir su poser les questions au bon moment. D'être impulsif. "Je vais le tuer." C'étaient les mots qu'il avait prononcés. Et dès qu'il avait perçu les traits de surprise sur le visage de l'aînée, il avait regretté ses paroles. Elles n'étaient vraiment pas à la hauteur de la situation. Il avait dû la décevoir, attendant une autre réaction de sa part. Alors, il avait simplement essayé de faire silence. De réfléchir avant d'agir. De ne pas faire plus de mal.

En montant en voiture, il se massa les joues sous le regard de la brune. Il avait beaucoup trop retenu ses émotions. Elle se pinçait les lèvres, ne sachant pas quoi dire pour le soulager. Le trajet se déroula en silence et lorsqu'ils passèrent la porte de son appartement, il vit la jeune femme s'enfuir dans sa chambre. Pierre paniqua un instant en sachant qu'elle s'était retenue de craquer tout l'après-midi. Elle revint finalement en arborant un short et un débardeur léger. Elle posa ses baskets sur le sol et entreprit de nouer ses cheveux en une natte.

« Je sais que normalement, c'est le rituel du matin. Mais je crois qu'on en a tous les deux besoin non ? L'interrogea-t-elle.

- Je vais me changer, acquiesça-t-il. »

C'était une bonne idée. Se défouler avant d'aborder le sujet. Ces derniers jours avaient été loin d'être de tout repos et tous les sentiments qu'il avait pu ressentir se superposaient les uns aux autres. Et encore un nouveau naissait alors qu'il faisait ses lacets sous le regard silencieux de Aria. C'était la première fois qu'il allait partager son jogging avec quelqu'un à nouveau. Et c'était loin d'être anodin, surtout quand on savait qui l'accompagnait. C'était un pas de plus qu'ils faisaient l'un vers l'autre pour retrouver une relation saine qui leur permettrait d'avancer chacun de leur côté et de s'occuper de Nina sans pour autant la faire souffrir de la situation.

Pierre la dirigea à travers la ville pour rejoindre l'élément qui les apaiserait un peu plus tous les deux. Le bruit de l'eau. La démarche du français était hésitante. Il avait du mal à trouver un rythme régulier qui leur conviendrait. Il n'avait plus aucun repère, ne sachant pas où se situait désormais le niveau de la jeune femme. Mais alors qu'ils arrivèrent sur le front de mer, plus rien ne sembla compter. Il était simplement question de courir. Le plus vite possible. Les jambes d'Aria lancèrent l'assaut et le châtain se jeta à sa poursuite. Cette intensité qui faisait mal. Qui brûlait les poumons et l'œsophage. Qui propageait la douleur jusque dans son crâne.

Il repassa devant. Puis elle prit à nouveau la tête. Il relança l'allure. Mais elle tenait bon. Elle avait toujours tenu bon. Elle n'avait jamais rien lâché. Ce n'était pas dans son caractère. Il savait que ce ne serait pas bien différent cette fois-ci.

« Jusqu'au prochain banc ? Questionna-t-il en la doublant. »

Elle hocha rapidement la tête, restant concentrée sur un objectif désormais bien défini. Elle revint à sa hauteur. Pierre alla chercher tout ce qu'il avait, toute cette haine et cette colère qui avaient traversé ses pensées ces derniers jours. Ces derniers mois. Ces dernières années. Mais lorsqu'ils arrivèrent au point énoncé à l'unisson, il fut forcé de constater qu'elle possédait les mêmes ressources en elle. Les mêmes non-dits. Les mêmes peines. Les mêmes questionnements. La même rage.

Il la détailla alors qu'elle posait ses mains sur ses genoux pour essayer de reprendre son souffle.

« Bon bah... je crois qu'il va falloir qu'on remette ça pour nous départager.

- Deux minutes, indiqua-t-elle. Je reprends mon souffle et je te mets une raclée.

- Je trouve bien ambitieuse, fit-il remarquer.

- Rien que tu ne sais pas déjà.

- C'est vrai que ça, ça n'a pas changé, sourit-il. Toujours prête à te faire mal pour me devancer.

- Toujours prête à me faire mal pour essayer d'oublier... corrigea-t-elle l'air sérieux. Pierre fixa ses yeux qui se remplissaient de larmes. J'ai rien vu. Enfin si. J'ai vu qu'il y avait un problème. Je l'ai vue passer de la joie au manque d'envie lorsque les rendez-vous approchaient. Mais...

- C'est pas ta faute, la consola-t-il en la prenant dans ses bras.

- Je... J'avais peur qu'il lui fasse du mal s'il récupérait sa garde. Je... J'avais pas imaginé qu'il pouvait déjà lui en faire en prison, expliqua-t-elle. En fait, il a pas changé ! Dit-elle amèrement.

- Je l'ai jamais rencontré. Mais je te jure que j'ai une haine envers cet homme, souffla le pilote en serrant à nouveau ses poings alors qu'il sentait une vague de fureur le long de sa colonne vertébrale.

- Il nous a déjà trop pris. Je ne peux pas le laisser continuer. Il regarda ses pupilles qui étaient dilatées. Elles semblaient animées d'une détermination implacable.

- Tu vas faire quoi ?

- Finir le dossier que j'ai commencé à monter depuis des semaines, répondit-elle comme une évidence. S'il est déjà violent avec elle alors qu'il est en prison, c'est hors de question qu'il ait encore le droit d'avoir sa garde.

- Aria, je veux t'épauler. Tu n'es pas seule. Si je peux faire quoique ce soit... commença-t-il. T'accompagner aux rendez-vous. Écrire des lettres... N'hésite pas, s'il-te-plaît.

- Merci, répondit-elle simplement alors qu'il fronçait les sourcils pour lui rappeler que leur pacte tenait toujours. Ne pas se remercier pour des choses aussi naturelles. Ils se connaissaient bien trop pour ça. »

Elle leva les yeux vers le ciel. Elle y cherchait probablement du réconfort. C'était une réaction que le pilote pouvait comprendre. Les étoiles étaient ses repères et il aimait les contempler dans la nuit noire.

Ces astres lui rappelaient tant de choses. Aria. Leur vie fanée. Leur souffrance passée. Leur bonheur gâché.

Des points lumineux qui veillaient sur lui et à qui il demandait encore conseil. Parce que eux auraient su comment agir. Et ils savaient probablement déjà ce qui allait arriver.

...

LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant