5. L'idée.

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« Il regrette d'avoir croisé l'amour parce qu'à présent, il ne sait plus comment continuer à vivre. »

-Guillaume Musso, Que serais-je sans toi ?

···

Pierre. Milan.

"Aria." Ce prénom hantait l'esprit du pilote français. Sa récompense... Elle avait un goût bien amer. Elle n'avait fait que renforcer la frustration du jeune homme et soulever plus de questions. L'avait-elle laissé la rattraper pour lui donner la satisfaction d'avoir atteint son objectif avant de briser toute la joie qui y était liée ? Pierre se persuadait qu'ils avaient des choses en commun, notamment un fort désir de réussir et un caractère de battant. Et pourtant, c'est encore plus déprimé que lorsqu'il avait recommencé son entraînement qu'il rentrait chez lui. C'était ridicule pensait-il. Mais il s'était accroché si fort à cette lumière qui illuminait ses joggings matinaux, qu'il était déçu de savoir que c'était déjà terminé. Elle le lui avait dit. Aujourd'hui était la dernière fois qu'il la voyait.

Aria. Qui était-elle ? Que faisait-elle ici ? Où partait-elle ? Pierre laissait son esprit divaguer alors qu'il tentait de le calmer sous l'eau chaude. Que savait-il d'elle ? Son prénom. Mince information. Qu'elle était de passage à Milan ? Il ouvrit alors son ordinateur dans l'espoir fou de la retrouver. Il se devait de tenter tant qu'il lui restait un mince espoir. S'il échouait, il pourrait laisser cette histoire rocambolesque derrière lui et se concentrer sur la saison à venir. En attendant, il n'avait que son visage empreint d'un mélange de mille sentiments en tête. Il commença alors par rentrer les champs « Aria » puis « Milan » sur le moteur de recherches d'un réseau social. Elle devait avoir son âge et peut être, qu'avec un peu de chance, elle aurait un compte. Rien. Enfin si, beaucoup trop de résultats. Il devait réduire le périmètre de recherches. Que savait-il d'autre ? Il se remémora sa discussion avec la jeune fille. "Moi, je ne suis personne." Il lui avait parlé en français... Et elle lui avait répondu. Bien que leurs échanges eurent été brefs, Pierre n'avait reconnu aucun accent, laissant donc supposer qu'elle maîtrisait sa langue maternelle. Encore un point commun. Mais ça ne lui permettait pas d'ajouter un champ pour filtrer les résultats obtenus. Elle courait. Peut-être enregistrait-elle ses parcours sur une application ? "Tu deviens fou, tu es un psychopathe mon vieux." se dit-il en soupirant. Frustré, il ferma son portable en tentant de se rendre à l'évidence. Il devait se faire une raison. Jamais il ne pourrait la retrouver, elle, la lumière qui lui offrait pourtant tant de joie et la possibilité de sortir de sa routine.

Le pilote retourna alors courir le lendemain, peu motivé. Il traîna un peu plus dans le centre ville, ne respectant pas du tout les allures préconisées par son entraîneur. Qu'importe. Il arriva sur les docks et scruta l'horizon. Il avait toujours un infime espoir au fond de lui qu'Aria lui ait menti, qu'elle ait loupé son avion, qu'elle soit restée bloquée à Milan pour n'importe quelle raison, qu'elle aurait envie de le voir, qu'elle serait là ce matin... Il fit un premier tour puis ralentit. Normalement, elle apparaissait toujours à cet instant. Pierre tourna la tête vers le bras du canal qui amenait au sud-ouest de la ville. Rien. Il fit alors un deuxième tour à une cadence beaucoup moins élevée que d'habitude. Il n'avait personne à chasser. Troisième tour. Toujours rien. Après le cinquième, le français s'assit dans l'herbe fraîche et scruta l'horizon. Des lumières naissaient, se mettaient en mouvement puis s'évanouissaient dans la nuit noire. Mais aucune ne retint son attention comme celle que pouvait porter la jeune femme qui le perturbait tant sans qu'il en comprenne la raison.

Un frison le parcourut. Il commençait à prendre froid. Alors, après un dernier coup d'oeil en arrière, il rebroussa chemin pour rejoindre son appartement. Il avait pris du retard par rapport à ses habitudes et la ville était déjà plus densément peuplée, rendant sa traversée difficile. Pierre aimait se sentir entouré. Pourtant, à cet instant précis, il voulait être seul tant qu'il ne pouvait pas être en compagnie de celle qu'il désirait. Toute once de motivation et d'envie s'était enfuie avec l'ombre de cette fille. Alors que Pierre avait toujours fait passer sa carrière en priorité bien qu'il aimait plaire et avoir quelqu'un auprès de lui, voilà qu'il s'était attaché à l'idée qu'il se faisait d'Aria. Il s'était construit une image autour de cette rencontre grâce à son imaginaire et peut-être qu'elle n'était pas du tout le reflet de la réalité. Peut-être que finalement tout était mieux ainsi. Peut-être que le pilote devait ne garder en tête que le portrait utopiste qu'il s'était dressé d'elle. Cela lui permettrait d'avancer. De continuer. De s'accrocher à quelque chose qui ne pourrait pas vaciller puisqu'il l'avait bâtie de toute pièce. Dans son esprit. Dans un recoin auquel personne ne pouvait accéder. S'il ne devait jamais revoir cette fille, alors il lui serait impossible d'être déçu. Peut-être que, pour une fois, Pierre pouvait se laisser aller à rêver. À ne pas être pragmatique. À s'éloigner de la réalité qui faisait si mal. Mais il savait, au plus profond de lui, que cette dimension le rattraperait toujours.

Pierre attrapa son téléphone et composa le numéro qu'il connaissait par coeur. Il ne fallut pas plus de deux sonneries à son interlocutrice pour décrocher.

"Allô ? Pierre, mon chéri, comment vas-tu ?" s'informa la personne au bout du fil.

"Ca va, maman, ça va." répondit-il d'un ton las.

"Hummm..." Il savait qu'il n'était pas très convainquant.

"Ecoute" reprit-il "je sais que ce n'était pas prévu mais... j'aimerai rentrer à la maison début février. Enfin si c'est possible ?" Il savait qu'en employant "à la maison", il avait fait sourire la personne au bout du fil, bien que cela l'inquiétait qu'il ne se sente pas chez lui dans la ville italienne.

"Pour ton anniversaire ? Ça fait longtemps que nous t'avons pas eu à la maison pour l'occasion ! Tu sais très bien que nous sommes toujours ravis de passer du temps avec toi. C'est le début des vacances scolaires en plus. Je pourrais réunir tes frères." se réjouit-elle. "Enfin, si ça ne fait pas trop."

"Non, non, c'est vrai que je dois respecter mon entraînement et mon régime pour le début de saison mais..." il hésita. "Mais... je crois que j'en ai besoin."

"Mon chéri, je sais que tu n'es pas du genre à t'apitoyer sur ton sort. Tu dis toujours que ça va. Mais est-ce que c'est vraiment le cas ?" s'avança-t-elle. Il savait que sa maman n'attendait pas de réelle réponse. Le pilote voulut lui répéter qu'il n'y avait pas de problème. Et puis, après tout, pourquoi le nier. Elle s'en apercevait bien assez tôt.

"Oui enfin, c'est juste un petit passage à vide. Les circuits me manquent. Je reprends le simulateur la semaine prochaine. Mais, je n'arrive pas à grand chose, j'ai l'impression. Je me sens un peu seul je crois. C'est pour ça que ça me fera du bien de rentrer à la maison. De profiter de toi, de papa et des garçons, même si vous ne passez pas toutes vos journées avec moi." expliqua-t-il finalement. Il ne voulait pas que sa maman s'inquiète.

"Je vois. Dis-nous quand tu prévois d'arriver exactement, on s'arrangera. Et, tu sais que je ne veux pas te déranger dans ton travail de préparation, mais si tu le souhaites, je peux prendre quelques jours et venir te soutenir. Enfin, pour ne pas que tu sois seul. Le temps que tu te réhabitues un peu..." proposa-t-elle.

"Non maman, c'est bon. Je suis un grand garçon, tu sais." sourit-il.

"Je sais mon grand, je sais."

"Ok, bah... merci maman. Je te tiens au courant."

"Prends soin de toi Pierre."

Il raccrocha quelque peu gêné d'avoir avoué ses faiblesses du moment. Il s'était toujours fait un devoir de paraître fort après tous les sacrifices que ses parents avaient fait pour lui permettre d'être pilote de Formule 1. Mais aujourd'hui, il avait besoin d'être honnête, de ne pas se mentir à lui-même. Et surtout, de se ressourcer un peu plus que d'habitude avant de reprendre la saison. Alors maintenant, il n'avait plus qu'à s'accrocher à cette idée. Dans quelques jours, il rentrait à la maison.

***
Et voilà le petit cadeau du matin. Je vous attends jeudi pour le lancement de la partie II.

LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant