3. L'arène.

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« On ne m'ôtera pas l'idée qu'il faut avoir un petit coin de sa tête accroché dans tous étoiles. »

-Delphine de Vigan, No et moi

···

Pierre. Milan.

Pierre rentra chez lui, épuisé. Il se traîna sous une douche bien chaude afin de détendre ses muscles et de tenter de se vider l'esprit. Il espérait réussir à extirper ses pensées de son esprit en même temps que l'eau coulait sur son corps. Mais ce fut bien sûr tout l'inverse et ses pensées tournèrent en boucle dans sa tête. Le jeune homme y était confronté et il ne pouvait plus rien faire d'autre que les analyser et essayer de les comprendre.

Il se sentait fatigué, vidé. Ces sentiments le frustraient énormément, lui qui était habituellement d'un naturel déterminé et compétitif. Ce genre de situations devait le pousser à se surpasser et à rebondir. Il devait surtout se remobiliser avant le début de la saison et retrouver l'envie qui l'habitait d'ordinaire. Il ne savait d'où venait ce passage à vide alors qu'il ne faisait que progresser un peu plus vers son rêve. C'était probablement lié au fait de se retrouver seul, dans son appartement milanais, après l'effervescence des fêtes de fin d'année. Pierre n'avait, en effet, jamais été un solitaire. En même temps, qui le serait après avoir grandi entouré de quatre frères. Toute sa vie était remplie de mouvements, de projets, de personnes qui bougeaient sans cesse. C'est aussi pour cela qu'il aimait autant la piste. Il y retrouvait l'adrénaline qu'il avait toujours connu. Courir en Formule 1 était synonyme d'une vie rythmée qui ne s'arrêtait au grand jamais. Et ce dont le jeune pilote avait besoin. Et pourtant, il avait accueilli cette pause avec beaucoup de plaisir et la volonté de reprendre son souffle avant de se plonger dans une saison qu'il savait déjà longue et intense mais, qu'il espérait couronnée de succès.

Le français était reconnaissant de pouvoir mener cette vie malgré tous les sacrifices que cela impliquait, malgré la solitude que cela lui imposait au quotidien. Il avait également hâte de retrouver le ronronnement des moteurs sur la ligne de départ, l'adrénaline des dimanches de course, le tumulte du paddock, la rage et l'envie d'en découdre pour arracher la victoire. Être de retour sur les circuits lui permettrait alors d'échapper à toutes ces pensées qui se bousculaient dans sa tête et lui parasitaient l'esprit. Il ne pouvait laisser ni le doute ni la peur de l'échec s'immiscer dans son cerveau. Sa force mentale avait toujours été son meilleur atout et il se devait de le préserver. La solitude lui pesait maintenant et semblait insurmontable. Mais il savait que dans quelques semaines, lorsqu'il se retrouverait au volant de sa monoplace, ce sentiment serait bien la dernière de ses priorités. Entouré de son équipe et des autres pilotes, dont certains étaient ses amis les plus proches, il n'aurait que de rares moments d'intimité surtout, il n'aurait plus le loisir d'y penser.

C'est donc grâce à ce dernier espoir bien niché dans un coin de sa tête que Pierre trouva la motivation de retourner courir, le lendemain et encore le jour suivant. Les séances devenaient de moins en moins pénibles et la douleur laissait place à des ondes de bien-être. Ce moment calme du matin dédié à la découverte d'une ville endormie était une source de positivisme dans lequel il pouvait piocher durant toute sa journée. Et puis surtout, il y avait cette petite lumière au loin qui semblait, chaque jour, un peu plus atteignable. C'était presque devenu un jeu. Qui craquerait en premier ? Le pilote était certain qu'il pourrait bientôt la rattraper et enfin percer son mystère. Il voulait la jouer à la régulière, tenter de se dépasser un peu plus, tous les matins, pour pouvoir d'autant plus savourer le moment où il frôlerait son bras et qu'il pourrait découvrir ses yeux. Le jeune homme tentait de s'imaginer ce qu'il y trouverait. De la détermination. De la frustration qu'il l'ait enfin rattrapée. De l'incompréhension, aussi. Pourquoi un inconnu se démenait-il chaque jour pour parvenir à l'atteindre ? Qu'est-ce Pierre trouverait à lui dire ? Encore une fois, il pensait beaucoup trop. Il devait se vider la tête. C'était à son sens, le seul moyen de surmonter le défi qu'il s'était fixé. Il devait se concentrer. Et le rester. C'était une leçon qu'il avait appris depuis tout petit. Ne pas se laisser aller à imaginer une situation qu'il n'était pas encore tout à fait sûr d'avoir la chance de vivre. Ne pas se voir passer la ligne d'arrivée en premier tant que ce n'était pas fait. Ne pas se faire de faux espoirs.

Et pourtant, quoiqu'il puisse se passer, cette lumière, aussi fuyante était elle, lui avait tant apporté déjà. Elle avait brisé sa routine et sa solitude. Le pilote se sentait assez ridicule d'avoir de telles idées. Mais ce point lumineux le réconfortait. Il avait l'impression de comprendre cette silhouette qui se levait également à l'aube pour atteindre le but de sa vie, qui se faisait mal pour être sûre de mettre toutes les chances de son côté. Si Pierre ne devait jamais réussir ce pourquoi il avait travaillé toute sa vie, il aurait certainement des regrets, mais il s'était toujours mis un point d'honneur à se faire mal, afin de ne jamais s'en vouloir de ne pas avoir au moins essayé en donnant son maximum, et plus encore. La lumière, c'était son objectif. C'était le but de sa vie. Et il ne pouvait pas la laisser filer. Ça prendrait le temps qu'il faudrait. Mais pas après pas, il se rapprocherait.

Ce jour-là, le jeune homme laissait filer encore une fois sa lueur d'espoir. Mais sur son visage était gravé un sourire qu'il avait perdu depuis son retour en Italie. Il regagna tranquillement son appartement pour continuer le programme fixé par son entraîneur. Il s'y attela avec envie et détermination. Les idées noires étaient maintenant derrière lui. Qu'est-ce qui avait changé ? Pierre avait retrouvé confiance en lui. Il était sûr qu'il pouvait y arriver. Il croyait en ses capacités. Et il se devait de s'améliorer sans cesse. Et il connaîtrait dès le lendemain sa première réussite de la saison. Le lendemain, il rattraperait enfin cette petite lumière qui lui résistait et qui se moquait de lui. Il en était persuadé.

04h50. Première sonnerie stridente. Le pilote n'attendit même pas la deuxième. Il se leva rapidement. Ça ne pouvait être qu'une bonne journée. Il laissa ce sentiment positif se diffuser dans tout son corps, sa bonne humeur ne le lâchait plus. Il se sentit détendu, prêt à accomplir ce qui semblait jusque là impossible. Il attendit l'heure habituelle à laquelle il passait normalement le pas de sa porte. Jouer en respectant les règles du jeu. La victoire n'en serait que plus satisfaisante.

Pierre se mis en route, suivant toujours son itinéraire favori lui permettant de découvrir chaque jour ses coins préférés de la ville. Jusque là, ce n'était qu'un échauffement. Les docks. Un premier tour pour repérer les lieux, s'imprégner de l'arène. Deuxième tour. Sa luciole se montra enfin. C'était le signal. Le jeune homme recommença ses foulées qu'il allongeait au fur et à mesure. Il se sentait bien. Ses poumons ne le brûlaient pas encore malgré le froid qui se saisissait des ses muscles. La lumière se rapprochait. Pierre fixait ce point. C'était son ancrage. Rien ne pouvait venir le déconcentrer. Il accéléra encore un peu. Il ne pouvait pas la laisser s'échapper. Pas cette fois. Il était dangereusement proche. La tâche n'était pas facile. La silhouette relançait après chaque accélération du pilote afin de le couper dans son élan. Ne pas lâcher, pas maintenant. S'approcher. S'accrocher. Il venait d'accélérer encore un peu. Il tendait ses doigts devant lui, comme pour essayer de la ralentir.

Et puis, dans le silence le plus complet, il saisit son poignet pour la retenir. Dans ses yeux, ce qu'il avait prévu : de la détermination, de l'incompréhension, de la frustration, un soupçon de peur, et puis surtout, une dominance de tristesse profonde qui toucha Pierre. Il murmura quand même : « Je t'ai eue, enfin. »

···
Je sais qu'il ne se passe pas grand chose pour le moment. J'essaye de planter le décor avec les pensées des personnages. J'espère que ça vous plaît. Je vous donne rendez-vous jeudi.

LE SOLEIL & LA LUNE - PIERRE GASLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant